Quatre ans après le succès de “Ma part de Gaulois”, Magyd Cherfi publie en cette rentrée littéraire “La part du Sarrasin”, un livre qui nous plonge cette fois dans le contexte social et culturel foisonnant des débuts du groupe mythique de Toulouse, Zebda.
Magyd Cherfi présente son nouveau livre, La part du Sarrasin, aux éditions Actes Sud.La nuance peut sembler anodine, mais dans l’esprit de Magyd Cherfi, elle compte. Quatre ans après son dernier livre, “Ma part de Gaulois”, l’ancien membre de Zebda passe du déterminant possessif à l’article défini avec “La part du Sarrasin”, son quatrième livre, publié en cette rentrée littéraire 2020. « “Ma part de Gaulois”, c’est l’essentiel de ce qui me compose, et “La” part du Sarrasin, c’est ce qui reste, c’est à dire la portion congrue », confie l’auteur.
« L’obsession schizophrénique » liée à la double culture est en effet à nouveau au cœur de ce dernier ouvrage, qui peut se lire comme une suite du précédent. Même si ce n’était pas l’intention de départ. « J’avais envie d’écrire tout à fait autre chose, une histoire d’amour. Mais j’ai rebroussé chemin devant ce tabou ultime, par pudeur. Je viens d’une culture qui masque tout. » Comme rattrapé par une force supérieure, Magyd Cherfi a donc poursuivi son autobiographie romancée.
Après son enfance dans sa cité à Toulouse, on retrouve donc “le Madge”, alter ego de fiction, à l’orée de sa vie d’adulte. Le Bac en poche, il quitte le quartier pour s’installer en centre-ville et débute dans la musique au sein d’un groupe qui ressemble plus que fortement à Zebda. L’écrivain restitue les prémices de cette aventure collective musicale hors-norme qui a déferlé sur Toulouse et sur la France. « C’est avant tout une histoire d’amitié. D’une bande de copains qui partent à la conquête de la gloire, même si on ne le dit pas car il faut être humble », glisse l’auteur.
Avec l’autodérision qui le caractérise, il livre son regard lucide et dénué de toute nostalgie sur cette période de foisonnement et de désirs. Mais aussi de malentendus et de contradictions. Lui, l’Arabe passionné de littérature et de chanson française, clame son amour pour le rock anglo-saxon. Et met en sourdine ses aspirations intimes profondes au nom du plaisir du « on » et de l’ « injonction à chanter pour la cause ». « Nous étions imprégnés de marxisme et de militantisme. Il y avait un côté évident à être dans les combats sociaux mais moi j’essayais de sortir de ma chrysalide. C’est la beauté du collectif, on avance ensemble jusqu’à ce que les plaques tectoniques s’entrechoquent. »
De l’intime à l’universel, il n’y a qu’un pas avec Magyd Cherfi. Dans “La part du Sarrasin”, il nous plonge aussi dans une France des années 1980 où l’arrivée au pouvoir de la gauche et l’émergence de la lutte antiracisme suscitent tous les espoirs auprès d’une génération qui ne va pas tarder à déchanter. Les délits de faciès ont la vie dure. Tout comme le déterminisme social.
Dans le livre, l’écrivain dresse notamment un constat aussi dur qu’implacable sur « l’illusion » qui a été la sienne de représenter la jeunesse immigrée. « À 20 ans, je me voyais bien porte-parole. Je pensais qu’il y avait dans les quartiers toute une armée prête à adhérer à notre message de gauche, républicain, laïcard, anticapitaliste, féministe… De concerts en concerts, je la cherchais, mais nous avions un public de jeunes blancs progressistes. Car en réalité, j’étais blanc moi aussi. Accéder au discours, c’est ne plus être immigré. »
Cet écartèlement permanent, Magyd Cherfi le relativise aujourd’hui. C’est ce qui fait aussi la force de son style. Une fusion rare et réussie de gouaille et de grandiloquence, de trivial et d’élaboré. « Je suis autant imprégné de classicisme à la française du XIXe (Zola, Maupassant, Hugo), que d’un langage populaire, très oral », confirme l’intéressé. Cette écriture pleine de rythme et de drôlerie avait valu au musicien une présélection au prestigieux prix Goncourt pour “Ma part de Gaulois”. « Une gratification suprême quand on a l’obsession de l’illégitimité. Je n’aurais jamais osé l’espérer, cela m’a musclé », révèle-t-il.
À tel point que celui qui entend bien continuer dans la musique, à travers des albums solo auto-produits, s’attaque désormais au théâtre. “Vice de forme”, sa première pièce, est jouée en ce moment, du 9 au 19 septembre, au théâtre du Fil à Plomb. Une comédie qui interroge, là aussi, la question de l’identité et de la double culture. Une nouvelle expérience, abordée en toute modestie, comme « une discipline de l’instant ». Avant peut-être d’accomplir le rêve originel : le cinéma.
La part du Sarrasin, aux éditions Actes Sud, sorti le 19 août
Vice de forme, du 9 au 19 septembre au théâtre le Fil à Plomb, 30 rue de la Chaîne
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