La crise sanitaire aura eu raison de nos habitudes de déplacement. Un changement d’usage pour les citoyens et de politiques d’aménagement de l’espace public pour les collectivités. Pour Pablo Carreras, directeur d’études Urbanisme, mobilité et santé à l’agence de conseils en aménagement du territoire Codra, nous entrons dans l’ère de l’urbanisme tactique.
Moins de voitures. Plus de vélos et de marche. Des transports en commun qui ont du mal à retrouver leur fréquentation. La mobilité des Français est en passe de connaître un vaste changement de paradigmes. En cause ? Notre relation à l’espace public qui évolue. Un phénomène déjà en branle depuis quelques années, mais que la crise sanitaire de la Covid-19 a largement accéléré. « Dès le premier confinement, nous avons observé une mutation des modes de déplacement. Les Français ont eu envie et besoin de bouger. Mais sans voiture. Ils ont alors redécouvert les espaces de proximité », note Pablo Carreras, directeur d’études Urbanisme, mobilité et santé à l’agence de conseils en aménagement du territoire Codra.
Pour satisfaire cette nouvelle appétence, les pouvoirs publics ont dû réagir vite. Il aura donc fallu être rapide et inventif. La principale contrainte en cette période de pandémie étant de garantir la sécurité sanitaire, les distanciations physiques entre les usagers. En quelques jours, « les municipalités sont parvenues à modifier les aménagements et les usages de l’espace public », observe l’expert. Les aires piétonnes ont été élargies, empiétant sur la rue. Et les rues, destinées jusque là à la circulation des voitures, ou les parkings, se sont vus fermées pour accueillir des terrasses de café. Autrement dit, les zones de trafic se sont transformées en lieux de vie.
Cette capacité à modifier un espace et son usage, rapidement et à bas coût, pour suivre les attentes des citoyens, est en réalité une nouvelle approche de l’aménagement du territoire, nommée urbanisme tactique. « Né dans les années 2000, à San Francisco, ce mouvement est issu de la volonté citoyenne de se réapproprier l’espace public, au détriment de la voiture », précise le directeur d’études. Dans cette démarche, l’usager occupe une place prépondérante. « C’est de lui qu’émane la possibilité d’un changement. Ce n’est plus aux riverains de s’adapter à un aménagement mais à ce dernier de répondre aux attentes du premier », détaille Pablo Carreras.
Certains diront que cette tendance à la consultation citoyenne ne date pas d’aujourd’hui. Certes, mais à la différence de l’urbanisme participatif, l’urbanisme tactique revêt un caractère expérimental. En effet, l’utilisation de matériaux légers, existants pour l’aménagement, parfois éphémère, en tous cas évolutif, d’un espace permet d’éprouver différents agencements. Comme c’est le cas par exemple pour les pistes cyclables de transition. Tracées et installées de manière provisoire, elles permettent aux usagers de les tester. Et peuvent ensuite être pérennisées ou modifiées, voire retirées. « Cette approche permet de se tromper et de s’adapter », commente l’expert.
En France, l’exemple le plus prégnant reste sans aucun doute les Quais de Seine. Voilà une illustration parfaite d’un changement d’usage de l’espace public. Le trafic pouvait y être dense, mais chaque été, depuis 2002, ils se changent en grande étendue de sable à l’occasion de l’événement Paris Plages. Et au regard de cette expérience, la municipalité a décrété la piétonisation définitive de cette zone.
Cette nouvelle façon d’appréhender l’espace urbain, qui autorise donc l’incertitude, est selon lui, l’approche du futur en terme d’aménagement du territoire. « Tout simplement, parce que désormais, nous savons que l’on ne peut pas tout anticiper. L’épidémie de Covid nous l’a bien démontré. Mais nous ne sommes pas à l’abri d’un nouveau virus, encore moins des effets du réchauffement climatique, des conséquences d’une évolution sociale et même, de l’arrivée de la voiture autonome », énumère Pablo Carreras. La flexibilité et l’adaptation, autrement dit la résilience, devient incontournable.
Or, si nous pouvons difficilement prévoir, nous pouvons faire en sorte de créer des espaces modulables, évolutifs, pour mieux nous adapter aux comportements à venir, notamment en matière de mobilité. C’est là tout l’intérêt de l’urbanisme tactique. « L’observation et l’expérimentation permettra ainsi à une collectivité, d’optimiser les ressources et coûts, en optant pour un aménagement à l’instant T. Qui pourra en devenir un autre en fonction de l’évolution des usages. Par exemple, une aire de livraison peut se changer en terrasse de café. Et inversement », prédit le spécialiste. Pour les citoyens, l’avantage est d’ordre physiologique. « En se réappropriant l’espace public, ils développent des liens sociaux, semblent plus apaisés et éprouvent un certain bien-être à évoluer en ville », observe-t-il.
Cette redistribution des cartes est une des conditions nécessaire à l’évolution de la mobilité. Car celle-ci s’avère instable. En effet, si les citadins ont démontré, depuis maintenant un an, leur envie de privilégier le vélo, notamment au sortir des confinements, la voiture a encore la côte dès que la situation redevient “normale”. « Cela signifie que si les habitudes de déplacement sont clairement en train d’être redéfinies, il faudra du temps avant qu’elles ne changent profondément », estime Pablo Carreras, qui mise d’avantage sur la multimodalité.
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