Avec l’avènement de la voiture, pourtant censée réduire nos temps de trajets, les déplacements ont pris une place toujours plus importante dans nos vies. Au point d’atteindre des seuils critiques. Bruno Marzloff, sociologue et fondateur du cabinet Cronos, spécialisé dans l’innovation territoriale, défend le concept de “démobilité”. Pour que, demain, nos usages soient choisis et plus raisonnés.
Qu’est ce que la démobilité ?
La démobilité est un concept que j’ai élaboré, il y a une dizaine d’années, en partant du constat que nous sommes dans une situation aberrante. Nous vivons dans une époque d’hyper mobilité, subie et outrancière, où l’offre et la demande peinent à être en phase. En 20 ans, le parc automobile français a augmenté de 20 % et le nombre de passagers aériens a plus que doublé, alors que, dans le même temps, la population a peu progressé. Il y a une distorsion de l’ordre de 1 à 20 entre la croissance démographique et celle du trafic. La démesure est l’essence de notre époque et la mobilité en est son royaume. Face à cela, il devient nécessaire de privilégier une mobilité choisie et raisonnée. Notamment en supprimant les déplacements superflus. En ce sens, la démobilité s’inscrit dans la même approche critique des excès que les théories de la décroissance.
Quelles sont les causes de cette hyper mobilité subie ?
Il y a plusieurs facteurs. Tout d’abord, le développement des modes de déplacements motorisés qui permettent l’allongement des distances parcourues pour des trajets de même durée. À quoi s’ajoute une organisation du travail problématique. Une bonne part des déplacements subis est liée aux aller-retours entre notre lieu de travail et notre domicile. D’autant qu’aujourd’hui, avec l’essor de la voiture et l’extension de la ville, un actif de la seconde couronne d’une métropole y consacre en moyenne 2 heures 30 chaque jour.
En quoi est-elle problématique ?
Tout cela provoque un hiatus entre une demande croissante et une offre qui est incapable de s’adapter aux besoins réels. Comme, par exemple, aux cycles d’embauche et de débauche des travailleurs. Ce qui produit des pics de trafic et des phénomènes de congestion aux heures de pointe.
Par ailleurs, cette mobilité excessive représente un coût économique, humain, ainsi qu’en termes de qualité de vie. En 2019, la France a recensé 57 000 accidents corporels et près de 4000 décès. Ainsi, le coût afférent lié aux maladies, aux accidents et à l’entretien de ce système motorisé est évalué à 819 euros annuels pour un Toulousain. À cela, s’ajoute le fait que le temps perdu dans nos déplacements est un facteur de stress important, pouvant conduire à des burn-out, et qu’il a un impact sur la vie familiale.
Enfin, en plus de participer de cette épuisante matrice métro-boulot-dodo, l’hypermobilité contribue à l’artificialisation des sols et à l’urbanisation croissante. Il ne faut pas oublier, non plus, que les transports motorisés représentent 30 % de la pollution atmosphérique. C’est le secteur qui voit son empreinte négative sur l’environnement augmenter le plus fortement !
Quelles solutions concrètes peut-on envisager pour sortir de cette hyper mobilité ?
Il faut tout d’abord promouvoir une politique de proximité. Cela consiste notamment à ramener l’ensemble des ressources au plus près des habitants : le travail, les biens et les services, notamment publics. Nous devons relocaliser tout ce que l’on a éloigné au fil des années et créer à nouveau une logique de ville dans des petits bourgs et des quartiers.
Sur le plan professionnel, il faudrait établir des agendas qui permettent d’éviter que tout le monde se déplace au même moment. Mais pour cela, il faut que les employeurs fassent confiance à leurs personnels. Qu’ils prennent en compte leur autonomie et leur capacité à gérer leur emploi du temps. C’est la base d’une nouvelle forme de productivité.
La pandémie a-t-elle accéléré cette mutation vers la démobilité ?
Il est intéressant de constater l’adhésion et l’implication spontanée des actifs dans le télétravail. Non seulement les gens ont joué le jeu, mais en plus ça a marché. Toutefois, après le confinement, les entreprises ont battu le rappel des salariés vers les sièges. Les dirigeants n’ont pas mesuré le gain que pouvait représenter cette mesure en termes de lutte contre la mobilité subie et toutes ses conséquences négatives qu’elle entraîne. Beaucoup d’entreprises rechignent encore à entrer dans cette logique alors qu’il existe un droit à la démobilité.
Plus généralement les téléservices s’inscrivent dans cette démarche de délestage de ce qu’on appelle les ”trafics carbonés”. À l’occasion de la pandémie, ces services à distance ont pris les transports à revers en élargissant le paysage des mobilités. L’Institut Paris Région calcule, par exemple, que 20 % des consultations médicales se font désormais en téléconsultation, alors qu’elles ne représentaient que 1 % de celles-ci avant l’apparition du virus. Rien qu’en Île de France, cela représente une réduction de près de 500 000 déplacements par jour. Si l’impact du travail à distance reste à mesurer, nous pouvons d’ores et déjà considérer que la mutation est en cours. Il n’y aura pas de retour en arrière. Seulement quelques ajustements nécessaires. Comme sur la question des commandes à distance qui ont provoqué un surcroît de livraisons. Mais des solutions s’esquissent déjà.
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