Trafic, pollution, foule, publicité, bruit… Les grandes villes sont souvent synonyme de stress et peuvent se révéler anxiogènes pour certains habitants. Mais est-ce une fatalité ou, comme le suggère Emma Vilarem, docteur en neurosciences cognitives et cofondatrice de l’agence d’urbanisme [S] CITY, une autre manière de penser la ville est possible. Centrée sur l’humain, apaisée et apaisante… Une ville un peu plus zen, finalement.
Journal Toulousain : L’urbanisme peut-il avoir un impact sur nos états psychiques ou émotionnels ?
Emma Vilarem : Il faut se rendre compte que l’environnement exerce une influence forte sur les personnes. À ce titre, l’environnement urbain conditionne nécessairement les personnes qui habitent et traversent les villes. L’enjeu, aujourd’hui, est de mesurer la portée de cette influence et d’en comprendre les mécanismes, afin de faire entrer le facteur humain dans notre manière de penser l’urbanisme et de fabriquer la ville.
JT : L’urbanisme qui régit le développement de nos villes est-il anxiogène ?
E.V. : Certains environnements peuvent être plus ou moins vécus par les habitants comme une source d’adversité et de stress. Ainsi, une ville conçue essentiellement autour du flux automobile et qui laisse trop de place à la voiture est évidemment plus stressante. Le trafic, les pollutions sonores, visuelles, lumineuses ou olfactives et la difficulté à créer du lien social font partie des principales sources de stress en milieu urbain.
« Adapter la ville à l’homme plutôt que l’inverse »
Il faut comprendre que l’être humain s’est développé dans un environnement plutôt naturel, très végétalisé et constitué de grands espaces. Autant de choses qui sont nécessaires à son équilibre et qui conditionnent sa capacité à se ressourcer et à récupérer. Ce qui fait que nous ne sommes pas vraiment adaptés à l’environnement urbain, notamment celui des grandes métropoles. Notre cerveau évolue plus lentement que nos environnements. C’est pour cela que nous devons revenir à une logique ou nous adaptons la ville à l’homme plutôt que l’inverse.
JT : La ville serait donc contre nature ?
E.V. : Attention, il faut veiller à ne pas réduire le discours à la dimension anxiogène des zones urbaines ! Surtout parce que la ville et sa densification sont des clés pour répondre à la croissance démographique, tout en limitant la bétonisation du monde et l’artificialisation systématique des terres. Déserter les villes serait une erreur environnementale. C’est, au contraire, de là que doivent venir les solutions.
JT : Quels sont les facteurs à prendre en compte pour apaiser notre urbanisme ?
E.V. Il faut prendre en compte nos besoins fondamentaux. Il faut de l’animation, mais aussi des espaces de détente où l’on puisse se retrouver et créer du lien social. Il est prouvé que les gens sont prêts à faire des trajets 10 % plus longs pour traverser un parc ou passer par une zone animée. Les espaces verts sont essentiels à notre équilibre. C’est pour cela qu’il est important de végétaliser au maximum les espaces interstitiels, avec des accès à la pleine terre pour que les habitants se reconnectent à la nature. Bien souvent, les questions de bien-être rejoignent les questions environnementales.
JT : Et quelles sont les pratiques à éviter ?
E.V. : Nous sommes assez sensibles aux proportions des espaces publics dans lesquels on se déplace. Par exemple, de petits trottoirs au pied de grands immeubles vont provoquer un sentiment d’oppression. De même qu’un bâtiment massif et sans percées augmente la sensation de densité et génère une émotion négative. Au contraire, il faut du rythme.
« Il est fondamental de donner
à voir l’humain et le ciel »
JT : Et concrètement, à quoi ressemble une ville à l’urbanisme apaisée ?
E.V. : Un urbanisme qui favorise l’apaisement se base sur un équilibre entre fonctionnalité et composante humaine. Par exemple, en imaginant des formes qui soient à la fois urbaines et agréables. L’enjeu est de répondre au défi de la densification et de permettre la hauteur, tout en construisant à échelle humaine. Par exemple, en déportant les étages supérieurs vers l’intérieur des édifices pour les masquer depuis la rue. Ou en ramenant le regard des passants vers le sol avec des terrasses, de la végétation basse, du mobilier urbain et des bâtiments qui laissent entrevoir la vie intérieure. Surtout, il est fondamental de donner à voir l’humain et le ciel. D’offrir des perspectives tout en permettant de construire du proche et de l’intime. Proposer des choses qui captent l’attention et divertissent, mais moins de publicités et de messages intrusifs. Tout est une question de nuance et d’équilibre.
Emma Vilarem
Docteure en neurosciences cognitives, spécialiste des interactions sociales, Emma Vilarem est directrice de l’agence [S] CITY qui réunit des experts en sciences cognitives et urbanisme pour penser la ville de demain. Elle œuvre à intégrer les connaissances et outils sur le cerveau et le comportement humain aux projets urbains et immobiliers, pour des villes qui répondent au mieux aux besoins cognitifs, émotionnels et sociaux de leurs habitants.
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