Comme tous les autres en France, le théâtre national de la Colline ne peut plus accueillir de public, eu égard aux mesures sanitaires dictées par l’épidémie de Covid-19. Une idée originale permet pourtant à son équipe de garder le lien avec les spectateurs : découvrez l’opération Au Creux de l’oreille.
La distanciation physique n’implique pas de rompre tout contact. Au contraire, lorsque l’éloignement est recommandé, certains redoublent d’imagination pour maintenir des liens. C’est le cas du théâtre national de la Colline, situé dans le 20e arrondissement de Paris. À l’aube du premier confinement, en mars dernier, son directeur Wajdi Mouawad a réuni toute son équipe pour mener une réflexion sur le sujet. Comment entretenir les relations culturelles avec le public, malgré la distance ?
L’ambition principale était de garder intacte la singularité du spectacle vivant : le rapport direct entre un artiste et le public. Le recours au numérique a donc été rapidement écarté. Au profit d’une idée originale : offrir une lecture, gratuite, de textes de poésie, de théâtre, de littérature ou de musique, par téléphone. Une initiative qui permet à l’auditeur d’accéder à la culture, à l’artiste de poursuivre sa passion, tout en conservant une forme de présence de l’un envers l’autre.
Ainsi, 250 artistes bénévoles, “amis” du théâtre national de La Colline, ont participé à l’opération Au Creux de l’oreille. Entre le 16 mars et le 7 mai, des comédiens, des musiciens, des auteurs… ont appelé au téléphone près de 6 000 personnes, préalablement inscrites sur le site Internet du lieu, pour leur susurrer des mots doux. Ceux qui suscitent l’émotion, qui interpellent l’auditeur, ou qui provoquent. Ceux qui ne laissent pas indifférent.
Car après avoir écouté la lecture du texte choisi par l’artiste, qui peut varier de 10 à 15 minutes, l’auditeur a la possibilité de dialoguer avec lui. Un échange riche, comme le confie Fanély Thirion, chargée de la communication du théâtre national de La Colline, et elle-même conteuse d’un jour : « Lors de ces discussions, des liens se tissent. Car la personne au bout du fil a l’impression de disposer d’un moment privilégié avec l’artiste, une relation quasi-individuelle. »
Du côté des lecteurs, c’est une expérience toute particulière qui se joue également, doublée d’un sentiment d’utilité collective. « Ils touchent du doigt l’attachement du public à leur égard. Certains sont même émus… jusqu’à avoir le trac avant de composer le numéro de téléphone », a pu constater Fanély Thirion. « Ce drôle de frémissement avant l’appel, l’inconnu auquel succède la rencontre, et ces moments si riches et touchants me manquent déjà », commente Véronique Müller, comédienne ayant collaboré à l’opération Au Creux de l’oreille. Et sa consœur Heidi Johansson d’ajouter : « J’ai eu la chance de participer à l’aventure, d’avoir des petits rendez-vous amoureux, comme j’aime les appeler. De partager de beaux moments de poésie et de joie avec tous ces gourmands de murmures. »
Des férus de beaux textes qui ont même élargi le public du théâtre national de La Colline. Car, si aller voir une pièce nécessite une proximité géographique avec la salle, cette contrainte s’envole avec le téléphone. Ainsi, « des gens de toute la France se sont inscrits. Et même de l’étranger », constate Fanély Thirion. « Certains ont renouvelé l’expérience plusieurs fois. D’autres ont inscrit leurs proches », poursuit-elle.
Une opération à succès donc, qui a d’ailleurs été dupliquée par d’autres théâtres en France, mais aussi au Québec ou en Belgique. Et l’idée de pouvoir amener la culture à ceux qui en sont éloignés a fait germer de nouveaux projets au sein de l’équipe de Wajdi Mouawad. « Nous réfléchissons à mettre en place cette initiative auprès des personnes empêchées, comme celles qui sont hospitalisées ou détenues en établissement carcéral ».
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