Qu’elles soient cadres, fonctionnaires, vendeuses ou stagiaires, les femmes sont particulièrement exposées aux violences, notamment sexistes et sexuelles, au sein de l’entreprise. Petit état des lieux du climat misogyne qui règne dans le monde du travail.
Une femme sur cinq a dû faire face à une situation de harcèlement sexuel au cours de sa carrière professionnelle. Un chiffre alarmant avancé en 2014 par une enquête de l’Ifop sur le harcèlement au travail, réalisée pour le Défenseur des droits. Malgré l’ampleur de la situation, il aura fallu attendre la médiatique affaire Weinstein, en 2017, pour que la parole se libère sur les réseaux sociaux, avec la floraison de mot-dièse tels que #Metoo #Balancetonporc ou #MeTooInceste. ”Baisers volés”, chantage sexuel, avances insistantes ou blagues déplacées, les violences sexistes et leur terreau, le sexisme ordinaire, deviennent intolérables au travail. Mais, surtout, la multiplication des témoignages révèle le caractère systémique de la situation.
De son côté, dans son étude ”Violences et rapports de Genre. Enquête sur les rapports de genre en France”, l’Institut national des études démographiques (Ined) met en évidence une tendance misogyne au sein de l’environnement professionnel. En effet, toutes formes d’agressions confondues, les femmes sont plus fréquemment victimes de violences (20 %) que les hommes (15,5%) au cours des 12 derniers mois. Notamment dans le cas des violences sexuelles qu’elles sont deux fois plus nombreuses à déclarer avoir subi, sur la même période (4,1% contre 2%).
Enfin, quel que soit le sexe de la victime, l’agresseur est, lui, presque systématiquement un homme. « Les violences sexistes, quelles soient verbales, physiques ou sexuelles, s’inscrivent dans les rapports inégalitaires entre les femmes et les hommes qu’elles contribuent à entretenir. Elles ont pour but et pour effet, dans ce contexte, de contrôler et d’humilier. Elles peuvent être utilisées par les hommes afin de faire face, sur le marché de l’emploi, à la concurrence des femmes plus diplômées », contextualise Sylvie Cromer, sociologue et coautrice du chapitre sur ”Les violences dans la sphère professionnelle” de l’enquête de l’Ined.
Outre le fait que l’écrasante majorité des auteurs de violences sexistes sont des hommes, l’enquête Virage met également en évidence que les femmes ne sont pas uniquement exposées aux violences sexuelles de leurs supérieurs hiérarchiques, mais également à celles émanant de pairs, de collaborateurs de l’entreprise ou, même, du public. « Les femmes en contact avec des clients comme les serveuses ou les vendeuses, entre autres, sont particulièrement exposées », souligne Sylvie Cromer.
En revanche, les subordonnés sont rarement mis en cause. Une donnée qui, pour la sociologue, confirme l’enjeu de domination et de maintien des rapports de force dans les violences, notamment sexistes, au travail. D’ailleurs, pour elle, la hiérarchie joue un rôle fondamental dans le maintient ou non d’une culture machiste au travail. « L’absence de mixité et de partage du pouvoir augmente les risques de violence sexiste. Une hiérarchie uniquement masculine envoie un message sur la place des femmes et du rôle qu’elles jouent au sein des entreprises », précise-t-elle.
Par ailleurs, l’étude de l’Ined montre qu’avec le temps, les agressions de type sexistes et sexuelles restent plus fortement ancrées dans la mémoire des victimes et que leur perception de la gravité des faits augmente. « Il y a deux raisons à cela. Tout d’abord, certaines formes de harcèlement ne se révèlent qu’à posteriori. Car elles prennent du sens avec le temps et la répétition ou parce qu’elles sont protéiformes et qu’il faut du recul pour les décrypter. Par ailleurs, il peut y avoir, chez les victimes, un mécanisme de refoulement pour ”tenir le coup” et garder son job. D’autant que l’environnement professionnel a tendance à minimiser certaines situations », précise Sylvie Cromer. Notamment au prétexte de l’humour. « C’est un argument fallacieux qui empêche de réagir et qui n’est utilisé que pour justifier des propos sexistes. On n’y aurait pas recours, par exemple, avec l’antisémitisme », ajoute-t-elle.
Subir en silence ou dénoncer des comportements inacceptables. Dans les deux cas, les femmes victimes de violences sexistes ou sexuelles se retrouvent confrontées à l’injustice de la double peine. En effet, un refus ou une absence de consentement clairement exprimé ne suffisent pas toujours à faire cesser ces agissements. Poussant ainsi les victimes à mettre en place des stratégies d’évitement. Au point que certaines femmes sont contraintes de changer leurs horaires de travail ou d’éviter des réunions avec un collègue harceleur.
Des sacrifices qui peuvent influer sur la perception de la qualité de leur travail par leur entourage professionnel. De même, quand elles élèvent la voix, elles s’exposent alors à des représailles, que ce soit de leurs collègues qui leur reprochent de ”nuire à l’ambiance de travail” ou, même, de leur hiérarchie. Ainsi, l’étude de l’Ined montre que 25 % des femmes ont été sanctionnées, ont démissionné ou ont perdu leur emploi suite à des violences sexuelles subies au cours des 12 derniers mois. Alors, pourtant, que la loi impose à l’employeur de garantir la sécurité et la santé à ses salariés. Notamment en assurant une prévention et un traitement du harcèlement sexuel.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les femmes qui se situent en haut de l’échelle hiérarchique ne sont pas épargnées. Au contraire, l’exposition augmente avec les responsabilités. « Les cadres et les femmes en responsabilité se déclarent d’avantage victimes. Ce qui étaye l’idée que ces violences sont utilisées comme un outil de contrôle », observe Sylvie Cromer. Néanmoins, la précarité reste le facteur qui rend les femmes le plus vulnérables aux violences.
Ainsi, les stagiaires font partie des catégories professionnelles considérées comme les plus exposées et les plus vulnérables. « Elles sont jeunes, soumises à une chaîne hiérarchique importante, de passage dans l’entreprise et connaissent moins bien les recours légaux », énumère la sociologue qui considère la multiplication des relations de pouvoir comme un facteur aggravant les risques.
Enfin, celle-ci rappelle qu’au delà de la hiérarchie, tout contrat professionnel est, en lui-même, un lien de subordination. Ce qui rend l’employée dépendante de sa direction pour assurer sa défense. « Une serveuse ne peut pas mettre une gifle à un client qui lui met la main aux fesses sans risquer de perdre son travail », explique Sylvie Cromer. Se protéger des violences sexistes peut alors s’avérer particulièrement difficile pour des jeunes femmes qui arrivent sur le marché du travail, sans expérience et désarmées face à ces questions.
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