Attentats, catastrophes naturelles, guerres, crises à répétition… Comment s’informer sans se laisser submerger par un climat anxiogène favorisé par des médias toujours plus enclins au traitement dramatique de l’actualité ?
Prise de Kaboul, attentats suicide, changement climatique, fusillade dans des écoles… Les chaînes d’information en continu nous soumettent à un flux permanent de mauvaises nouvelles venues de toute la planète. Toujours plus abondante et immédiate, l’actualité et son traitement sensationnaliste souvent privilégié par les médias nous surexpose, images à l’appui, à une représentation du monde anxiogène.
Ainsi, en pleine crise sanitaire, 50 % des Français interrogés dans le cadre d’un sondage réalisé par ViaVoice pour France Tv, Radio France et le Journal du dimanche en septembre 2020, considéraient le traitement de l’information relative à la pandémie comme anxiogène. 60 % d’entre eux jugeaient également la couverture de la pandémie trop importante, 43 % estimaient que le travail des journalistes avait alimenté la peur et 32 % que ces derniers avaient utilisé cette peur pour faire de l’audience. « Il est reconnu qu’une surconsommation d’informations peut avoir des effets anxiogènes et provoquer un sentiment de déprime. Cela c’est accentué ces deux dernières années avec l’épidémie, au point que l’OMS a recommandé de se limiter à 10 minutes d’information par jour », confirme Pauline Amiel, directrice adjointe de l’école de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM) et auteure du livre Le journalisme de solutions, publié aux presses universitaires de Grenoble. D’autant plus que les nouvelles tragiques ont tendance à monopoliser les unes de la presse.
En effet, la majorité des rédactions a un penchant pour le sensationnalisme. « Les rédacteurs en chef ont souvent cette croyance forte que c’est le drame politique, le fait divers sordide ou les accidents de voiture sanguinolents qui font vendre. C’est une logique qui s’est développée dans les années 1990 quand les entreprises de presse ont intégré les techniques du marketing et d’identification du lecteur pour concevoir leurs lignes éditoriales », déplore Pauline Amiel avant de présenter quelques ”lois” qui régissent le traitement actuel de l’information. « Ce qui va intéresser les journalistes c’est ”l’événement”, ce qui sort de l’ordinaire. Au détriment de ce qui est considéré comme banal ou positif. On parle des trains qui déraillent plutôt que de ceux qui arrivent à l’heure. De même, il existe la règle du mort au kilomètre (un principe de hiérarchisation de l’information selon sa gravité et sa proximité géographique avec le lecteur, NDLR) », développe-t-elle. Une prime à la négativité également résumée par l’adage des économistes ”Bad news is good for business”, que les rédactions se sont réapproprié.
Par ailleurs, avec le développement des chaînes et des sites d’informations en continu, le volume et la fréquence de publication se sont particulièrement accélérés ces dernières années. « On n’a jamais consommé autant d’informations. D’autant que les médias ont tendance à privilégier la ”news”. Une information la plus immédiate et rapide possible. Et ce phénomène de surexposition médiatique est encore aggravé par les réseaux sociaux », précise Pauline Amiel. Ainsi, une étude conjointe de l’université de Columbia et de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA) relève que 60 % des personnes partagent des articles sans les avoirs lus. Autant de conditions qui conduisent à une surcharge informative, également appelée infobésité. Au-delà d’une mise au régime, Pauline Amiel recommande de diversifier ses sources et de se détacher de l’actualité. « On peut aller chercher des choses différentes dans des documentaires ou des titres qui ont une approche de l’information à plus long terme », propose-t-elle en évoquant le courant du slow média, incarné notamment en France par la revue XXI ou le magazine Le 1.
Un bon régime alimentaire doit être modéré, diversifié et équilibré… Des principes qui peuvent également guider notre consommation des médias. « On se pose beaucoup de questions sur ce que l’on met dans notre assiette. Il faudrait se poser les mêmes sur ce que l’on met dans nos têtes », compare Pauline Amiel avant d’inciter à une lecture consciente et responsable. Pour cela, son premier conseil consiste à approfondir les sujets, par exemple en se tournant vers le journalisme de solution. « C’est un concept qui encourage à traiter l’information sans se contenter du constat, mais en proposant une solution potentielle à la problématique soulevée dans l’article », explique la directrice adjointe de l’EJCAM. Ce courant journalistique, toujours relativement marginal, a émergé dans les années 1990 avant de se développer au début des années 2000. En 2013, des journalistes se sont même réunis pour fonder le Solutions Journalism Network (SJN), une association dédiée au journalisme de solution. Inspirant de nombreux médias français comme Libération, Nice Matin… et le Journal Toulousain.
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