Tour à tour jardin secret, musée personnel, salon mondain ou décor de sa propre mise en scène, l’habitat est bien plus qu’un simple abri.
De la chambre de bonne à la villa avec piscine, un logement répond avant tout à des fonctions essentielles : s’abriter, dormir et manger. Mais, en plus d’offrir une réponse à ces
besoins élémentaires, l’habitat est également un lieu que l’on s’approprie et que l’on modèle à son image. On s’y cultive, on y affirme son identité on y garde ses secrets comme on s’y met en scène. Tour à tour jardin secret, musée personnel ou salon mondain, l’habitat ne peut pas se réduire à une cuisine et une chambre à coucher.
« Il faut distinguer le fait de se loger, qui implique un rapport passif au logement perçu dans sa dimension fonctionnelle, et le fait d’habiter, qui relève d’un rapport au monde actif tourné vers l’usage. En tant qu’architecte, on dit qu’on produit un logement, mais on devrait plutôt dire qu’on produit de l’habitat », met en garde Joanne Pouzenc, architecte et directrice de la Maison de l’architecture Pyrénées-Occitanie. « On conçoit aujourd’hui l’habitat comme un produit, pour une famille standard avec des usages standards et des réponses formatées. Or, il n’y a pas deux familles qui veulent la même chose. C’est pour cela que la participation des habitants est fondamentale en vue d’un habitat approprié. On ne peut plus fabriquer, comme c’est le cas encore aujourd’hui, des logements comme des “cages à lapin“ », corrobore Stéphane Gruet, architecte et docteur en philosophie, qui s’insurge contre l’approche fonctionnaliste du logement.
En effet, à la différence de l’hôtel, un lieu de transit où l’on ne fait que passer, l’habitant à besoin de s’approprier son lieu de vie. De le modeler à son image afin, en retour, de s’y construire lui-même. « L’habitat doit répondre aux besoins fondamentaux de l’âme humaine, comme se recueillir, se construire et s’approprier le monde. Nous avons à la fois besoin de murs pour nous retirer du monde et d’ouvertures les plus grandes possibles sur l’extérieur pour mieux l’appréhender. C’est un équilibre propre à chacun qui permet de s’établir dans un rapport entre soi et l’autre, le monde, la nature. Tout ce qui n’est pas nous. Il faut pouvoir sortir du monde, pour mieux s’y projeter par la fenêtre. En ce sens l’architecture est bien l’art d’habiter le monde », observe Stéphane Gruet qui est également président de Faire Ville, le Centre des cultures de l’habiter. Ainsi, lorsqu’il n’est plus réduit à ses fonctions essentielles, le logement devient une sorte prolongation de soi.
Épuré, richement décoré ou chargé de bibelots. Un simple coup d’œil donne souvent de nombreuses informations sur la personnalité qui occupe un logement. « Le logement est effectivement un lieu d’affirmation de soi et d’affirmation culturelle. Avant tout parce que c’est un lieu de choix. On peut y être pleinement ce que l’on veut, sans être soumis aux normes sociales qui régissent le monde extérieur. De même, c’est un lieu où l’on se cultive tout en choisissant la culture qu’on laisse entrer. C’est le seul endroit que l’on puisse gouverner », remarque Joanne Pouzenc. Ainsi, en établissant les conditions de l’épanouissement de son intimité, chacun transforme peu à peu son logement en petit musée personnel où l’on pourra conserver ou exposer nos biens les plus précieux. « Même s’il est important que l’habitat permette de protéger la part intime et secrète de l’individu, c’est également un lieu de mise en scène de soi-même. D’ailleurs, ce phénomène est particulièrement amplifié avec l’apparition des outils de visioconférence. Le logement devient un véritable décor où l’on choisit ce que l’on donne à voir », précise Joanne Pouzenc.
Miroir de son occupant, l’habitat est donc l’expression d’une personnalité autant que d’une culture. Mais, pour ne pas être réduit à sa dimension impersonnelle de logement, il faut que cet espace puisse être modelé par les personnes qui y vivent. « Cela pose la question de comment faire en sorte que les gens s’approprient leur habitat, que ce soit au sein du foyer ou en copropriété, alors même que ces logements sont de plus en plus conçus comme des produits spéculatifs et que les habitants ne sont pas propriétaires. Et donc d’autant moins libres d’investir les lieux qu’ils occupent. Or on ne s’approprie réellement que ce à quoi l’on a contribué », s’inquiète Stéphane Gruet qui défend les démarches d’habitat participatif. Une implication qui, selon lui, ne doit pas se cantonner aux phases de planification. « Il est fondamental que les habitants aient les moyens de transformer leur logement pour se sentir chez eux. En ce sens, l’accession à la propriété doit être privilégiée et rendue accessible à tous ».
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