Même si la plupart des enfants continuent d’aller à l’école, le risque de voir la charge mentale des mères de familles accrues par ce deuxième confinement est bien réel. Sandra Frey, psychosociologue et spécialiste des questions de genre, nous dévoile ses conseils pour limiter ce phénomène.
La liste des courses, la planification des lessives, d’un rendez-vous chez le pédiatre ou d’un goûter… Le fait d’anticiper et d’être accaparés mentalement par l’organisation de toutes ces taches pendant que nous sommes occupés à autre chose, au travail par exemple, définit la charge mentale domestique. Un mal que connaissent bien les parents mais qui pèse inégalement sur les femmes et les hommes.
« C’est un phénomène qui touche majoritairement les mères. C’est une spécificité de nos sociétés patriarcales et sexistes où les rôles de chacun, à la maison, sont essentialisés et liés au genre. Du fait de cet héritage, les tâches domestiques sont quasiment entièrement dévolues aux mères », contextualise Sandra Frey, psychosociologue et spécialiste des questions de genre. Chargée de cours pour l’université Montpellier III, celle-ci a réalisé son parcours postdoctoral à l’université Toulouse le Mirail, au sein de l’équipe simone-sagesse, l’un des premier groupe de recherche sur le genre en France.
En effet, de nombreuses études montrent que ce déséquilibre de l’organisation au sein des ménages accroît significativement le stress mais aussi les risques psychosociaux et de fatigue mentale permanente, comme les burn-out, chez les femmes. Une situation encore aggravée par le confinement.
*En effet, le phénomène de la charge mentale se construit essentiellement autour du fait de se projeter dans une activité alors que nous sommes en train d’en mener une autre. Le corps effectue des tâches mais l’esprit est ailleurs. Il navigue entre des lieux totalement distincts, au sens physique, géographique comme symbolique du terme : le travail, la maison, l’espace scolaire ou extra-scolaire. Une injonction d’ubiquité, au moins en pensée, qui peut s’avérer épuisante.
« Plus ces espaces sont clairement séparés et éloignés les uns des autres et plus la ”zone de saturation mentale”, quand les activités se superposent, diminue. Or, pendant le confinement, toutes ces sphères finissent par se confondre. Et les frontières spatiales, temporelles et symboliques entre les activités s’estompent », alerte la psychosociologue, qui a également créé la mission parité – égalité professionnelle au sein du ministère de l’Environnement. D’autant plus que les déplacements physiques entre chacun de ces espaces, du bureau à l’école des enfants ou au club de sport, constituent une coupure, un petit break qui permet de se « réorganiser mentalement ». Une respiration salutaire dont nous sommes privés quand toute la vie s’organise au sein du domicile.
Il devient alors fondamental de recréer au maximum, même chez soi, les conditions de cette circulation. « Nous avons des nécessités psychologiques comme le mouvement et le changement. Même dans l’univers carcéral les prisonniers changent d’espace pour aller au réfectoire ou pour faire une promenade dans la cour », rappelle Sandra Frey qui propose quelques solutions pratiques pour limiter l’accroissement de la charge mentale en période de confinement.
Notamment en jouant sur le planning domestique et la mise en place d’agendas. De manière a réguler son temps, mais également l’organisation spatiale de la maison. « Il est impératif, tout d’abord, d’opérer un redécoupage du temps pour se constituer des plages de repos, d’intimité, que l’on s’octroie à soi-même. Et les alterner avec des temps partagés, de loisir et de prise en charge des taches domestiques. Qu’ils soient collectifs ou individuels », conseille-t-elle en premier lieu.
Ensuite, celle-ci propose de recomposer la géographie de la maison. En réattribuant les usages de chaque pièce à l’aide, par exemple, d’un emploi du temps hebdomadaire. Ainsi, la cuisine peut servir aux repas et, à certains moments définis, se muer en salle de visioconférence. Le salon peut faire bureau à certaines heures et salle de gymnastique à d’autres. Certains créneaux horaires permettant de s’isoler et d’autres, au contraire, ayant vocation à réunir la famille. « Cela permet à la fois de recréer une distinction entre les espaces symboliques et d’entretenir cette dynamique de mouvement et de changement. Le pire serait de faire toutes les activités de la journée dans la même pièce », précise Sandra Frey. Même chez, soi, il est important de changer d’air et de structurer sa journée autour de lieux variés et d’horaires définis.
Des conseils pratiques qui peuvent soulager en période de confinement, mais qui ne doivent pas faire perdre de vue l’ampleur des changements à opérer. « Il serait surtout intéressant de mettre a profit cette période, où toute notre organisation est bouleversée, pour interroger nos habitudes. En remettant à plat, notamment, nos modes de socialisation conjugale et d’organisation de la famille », insiste Sandra Frey. Parce qu’à la maison aussi, on peut concevoir un monde d’avant et un monde d’après.
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