À la fois réceptacles et chambres d’échos, rapides comme l’éclair et dont l’audience est planétaire, les réseaux sociaux sont devenus le passage obligé de tous les mouvements de libération de la parole.
Rien de tel que les réseaux sociaux pour ouvrir un débat de société. Ils vont à la vitesse de l’éclair et leur audience est planétaire : près des deux tiers des êtres humains sont connectés à internet, dont la moitié est titulaire d’un compte FaceBook, Twitter ou Instagram. À la fois chambres d’échos et réceptacles de toutes les opinions. « Ceci est propre au web 2.0, où chacun peut prendre la parole, derrière son ordinateur, sans passer par un intermédiaire », rappelle Stéphanie Lukasik chercheuse à l’Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC). Parce qu’il est plus facile de livrer ses souffrances, ses secrets et ses colères en les écrivant, les réseaux sociaux sont ainsi devenus le creuset de la libération de la parole. « Celle-ci était déjà présente dans les blogs et les forums. Les réseaux sociaux l’ont ensuite développée à plus grande échelle. Car grâce à eux, les sujets sont beaucoup plus lisibles et faciles d’accès » explique Stéphanie Lukasik.
Aujourd’hui, les hashtags fédèrent et diffusent, avec une efficacité redoutable, les indignations de toutes natures. Parmi les plus retentissants, citons le mot dièse #BlackLivesMatters, qui, dès 2013 dénonçait les violences contre les personnes de couleur noire. Ou, deux ans plus tard, en France, le fameux #JeSuisCharlie, au lendemain de l’attentat contre le journal satirique Charlie Hebdo. « Il s’agissait-là d’un mouvement de défense de la libération de la parole », glisse la chercheuse. À partir de 2017, après que l’affaire Weinstein a éclaté, le slogan #MeToo et ses déclinaisons, comme #MeTooinceste et #MeTooGay ont, quant à eux, littéralement fait évoluer les idées et les lois, un peu partout dans le monde, autour du sexisme, des violences sexuelles ou de l’homophobie.
Il y a le revers de la médaille. #BalanceTonPorc, la version française de #MeeToo, est une des rares à encourager les utilisateurs à partager les noms de leurs agresseurs sexuels. Une incitation à la délation que l’on retrouve par exemple dans le hashtag #BalanceTonProf, pour dénoncer les agissements de certains enseignants, #BalanceTonTaudis, ceux des mauvais bailleurs, ou #BalanceTonStage ceux des employeurs sexistes. Des listes de personnes, nominatives, se retrouvent ainsi “jetés en pâture” à l’opinion publique et soumis au tribunal populaire, sans autre forme de jugement. Autre dommage collatéral de la libération de la parole, selon Stéphanie Lukasik, « la montée en puissance des propos complotistes et un certain phénomène de désinformation ».
Désormais chargé de vérifier l’exactitude des témoignages en ligne et de filtrer les fakes news, « le rôle du journaliste prend aujourd’hui toute son ampleur », considère la Docteur en sciences de la communication et de l’information. La tâche est d’autant plus grande, que mis à part quelques exemples célèbres, comme la récente fermeture du compte Twitter de Donald Trump, la modération, difficile à mettre en place, pose problème. « Mais une autorégulation est à l’œuvre. Comme sur Wikipedia, où l’on trouvait au départ tout et n’importe quoi, et que les contributeurs sont parvenus à organiser. Pour autant, la liberté d’expression sur les réseaux sociaux engendrera toujours des dérives. C’est le prix à payer pour faire avancer le débat public et la démocratie », conclut Stéphanie Lukasik.
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