Pendant trois jours, le hackathon de la Grainerie a réuni plusieurs dizaines de professionnels des arts du cirque, à Toulouse. Des artistes aux diffuseurs, tous se sont retroussés les manches pour adapter leur méthodes de production aux contraintes sanitaires. Et, tant qu’à y être, pour imaginer ce à quoi pourrait ressembler, demain, le monde du spectacle.
Un clown qui cherche sa place. Une troupe de danseurs qui se pose des questions existentielles tout en se disputant un créneau horaire de répétition… Ce mardi 26 janvier, alors que tous les musées, théâtres et cinémas sont encore sous le coup d’une fermeture administrative dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, les spectacles s’enchaînent à la Grainerie. Cet incontournable pôle toulousain de création et de production, spécialisé dans les arts du cirque, aurait-il organisé un cabaret clandestin ?
Loin de là. Le public, conquis et masqué, est en fait, composé de professionnels de la filière venus participer à un hackathon artistique. Une initiative inédite dans le monde du cirque, organisée dans le cadre du projet de coopération transfrontalière Travesía – Pyrénées de Cirque et inspirée par les rassemblements de programmateurs informatiques. Ces derniers se réunissant, durant plusieurs jours, pour relever des défis et développer collectivement des projets. Ainsi, pendant trois jours, plus de 70 professionnels des arts du cirque, venus parfois d’Espagne ou d’Amérique latine, vont unir leur force pour « innover face à la crise sanitaire » et « protéger la création de 13 compagnies ». « Ce rendez-vous permet, en même temps, de mener un travail concret d’accompagnement, de tisser des liens dans une période compliquée et d’amorcer un travail de réflexion sur l’avenir. Le mot d’ordre, c’est la coopération », rappelle Jean-Marc Broca, le directeur des relations internationales à la Grainerie.
En effet, depuis des mois, la crise sanitaire a mis le spectacle vivant à l’arrêt et fait planer une sérieuse menace sur les compagnies, comme sur les lieux de diffusion. « La pandémie bouleverse nos pratiques et nos manières de travailler. Elle dévoile les limites de notre système, basé sur un modèle de production datant des années 1950, linéaire et cloisonné. Pour rebondir, nous devons nous réinventer. Notamment sur les questions du voyage et des rapports interprofessionnels », analyse Jean-Marc Broca. Ainsi, pour permettre ce remue-méninge international, les équipes du lieu ont organisé, sur place, tout un plateau d’ateliers et de groupes de réunion, à mi-chemin entre l’open-space et le speed-dating.
Très rapidement, les allées et venues se multiplient entre les différentes salles de la Grainerie. On se croise, on s’interpelle, on se court après. Tantôt en Français, en Espagnol, en Basque ou en Catalan. Dans la grande salle qui fait office de réfectoire, de grands panneaux sont couverts de post-it. « Après la présentation des spectacles en cours de création, chaque structure s’est positionnée pour rencontrer un partenaire avec qui il serait susceptible de collaborer. Que ce soient des diffuseurs qui veulent programmer une compagnie ou, à l’inverse, une compagnie qui cherche une salle ou un lieu de résidence », explique Hélène Métailié, chargée de projets européens et internationaux. En réunissant une trentaine de diffuseurs, le hackathon permet, en premier lieu, à l’ensemble des partenaires de nouer un dialogue et d’envisager de mutualiser leurs moyens. En un seul voyage, Pedro Ormazabal, responsable du pôle culturel de la mairie de Bilbao, a pu engager 7 ou 8 compagnies pour sa prochaine programmation. Un déplacement intéressant, pour lui, « en pleine pandémie et à une époque où l’on parle de limiter les déplacements ». Que ce soit pour des raisons sanitaires, économiques ou environnementales.
Alors que dans la salle d’entraînement, des acrobates répètent de périlleuses figures au trapèze volant, un numéro d’équilibriste d’un autre genre se joue lors d’une visioconférence, dans le bureau voisin. Une douzaine de programmateurs et responsables de salles de spectacle, allant de Bilbao à la Cerdagne française en passant par la Haute-Garonne, sont en train de tenter d’harmoniser le programme de leur saison. Le but : optimiser la future tournée de Maïté Guevarra, un clown basque. Une mission d’autant plus délicate que l’Université de Toulouse souhaiterait profiter de son passage dans la Ville rose pour proposer des stages de clown à ses étudiants. Jours fériés, vacances, la tache n’est pas aisé. Mais comme s’en félicite l’un des participants hispanophone : « Esa es la actitud ! » ( « Ça c’est la bonne attitude ! », en français).
De leur côté, certaines compagnies se sont même engagées dans une démarche de tournées écoresponsables et de ”kilomètre zéro”. Toute une réflexion qui amène les artistes à remettre en question la forme que prennent leurs créations, mais également leur manière d’aller à la rencontre du public. « Au delà du rêve de reprendre les tournées, ce projet se construit autour du besoin de rêver et d’imaginer de nouvelles manières de se projeter dans le monde. Tel qu’il est ou tel qu’il dysfonctionne. Puis, de partager cette réflexion avec un public le plus large possible. En espérant, même petitement, faire changer des habitudes qui s’avèrent insoutenables pour notre modeste planète », partage Stéphane Fillion, jongleur et cofondateur de la Compagnie Lapsus qui fait le pari, pendant les tournées, de privilégier systématiquement le train au détriment de la voiture. « Nous devons travailler sur la soutenabilité des futurs modèles. Et nous interroger, entre autres, sur la mobilité artistique et son impact carbone. Tout ce qu’à révélé la Covid-19 était déjà là », observe Jean-Marc Broca qui est convaincu que le cirque est voué à s’aventurer « hors-piste ».
Cette nécessité de s’engager sur de nouveaux terrains fait d’ailleurs l’objet d’un cercle de discussion, dans l’ambiance feutrée de la salle de diffusion. Une quinzaine de participants, assis en cercle, s’interrogent sur la meilleure manière de mettre en place un projet de la médiation culturelle. Comment établir le contact avec un public pas toujours volontaire ? Comment collaborer avec un enseignant ? Les artistes plus rompus à l’exercice partagent leurs expériences et distillent leurs conseils avisés. « La crise doit nous pousser à sortir de l’entre-soi et à explorer ce qu’il y à la lisière de nos pratiques. Que ce soit au sein du système éducatif ou dans le monde du travail. Au travers des formations ou des séminaires, l’artiste peut apporter à l’entreprise sa créativité et son sens de la réinvention permanente. En contrepartie, toutes ces expériences peuvent nourrir sa création », défend Jean-Marc Broca qui espère que la crise du Covid incitera les artistes à aller chercher de nouveaux publics où ils se trouvent. Dans l’entreprise, les écoles, les centres de formation où, même, les centres commerciaux. Car, finalement, que ce soit sous un chapiteaux, dans un théâtre, ou dans l’espace public, tous les acteurs de ce hackathon en sont convaincus : le plaisir du spectacle est contagieux et le virus de la scène est loin d’être éradiqué.
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