Le concept des aménagements cyclables de transition n’est pas nouveau mais, après le premier confinement, le nombre de collectivités s’en étant emparées a considérablement augmenté. Une façon de ne pas imposer ce mode de déplacement doux qu’est le vélo, mais plutôt de le soumettre à l’approbation de la population. Les pistes cyclables de transition sont ainsi l’illustration concrète de ce que l’on appelle l’urbanisme tactique.
Peintes en jaune sur le bitume afin de montrer le caractère provisoire de l’aménagement, les signalétiques indiquant la présence d’une voie réservée aux vélos ont fleuri cette année, essentiellement durant le premier confinement. Il s’agit de pistes cyclables de transition. Autrement dit, d’équipements sécurisés n’étant pas forcément voués à durer. Ou si. En réalité, ce concept permet de soumettre, en grandeur nature, un projet à l’approbation d’une population. En l’occurrence, une nouvelle organisation de l’espace public, comprenant un axe dédié aux deux roues.
Une démarche dans laquelle on devine, en filigrane, une promotion de “la petite reine”. Ce qui ravit le “Club des villes et territoires cyclables”, un réseau de plus de 1 500 collectivités engagées pour le développement de l’usage du vélo au quotidien. Il y a eu, dans la période post-confinement, un effet d’aubaine indiscutable en faveur de ce mode de déplacement doux. « Les habitants des grandes villes, comme les entités en charge de la gestion des transports en commun, se sont interrogés sur le meilleur moyen de se déplacer, sur de courtes distances (moins de 10 kilomètres), sans générer la formation de clusters ni polluer davantage en prenant la voiture. La réponse était évidente : le vélo », analyse Catherine Pilon, secrétaire générale de l’association.
Pour inciter les habitants à enfourcher leurs bicyclettes, plusieurs collectivités ont opté pour le concept des pistes cyclables de transition. Une fois tracées sur la chaussée, « les riverains se sont aperçus qu’elles réduisaient le bruit de manière conséquente. Les usagers, en particulier ceux qui ont peur du trafic, ont constaté qu’elles permettaient de circuler en toute sécurité, notamment en évitant de prendre les sens interdits et de se retrouver face à une voiture. Et les collectivités, elles, ont calculé que l’aménagement de voies dédiées aux vélos coûtait bien moins cher que de faire de la place à la voiture », observe Catherine Pilon.
Toutefois, il s’agit quand même d’un investissement pour une collectivité et d’un effort de changement d’habitudes des potentiels utilisateurs. « C’est en cela que le concept des pistes cyclables de transition est intéressant », lance-t-elle. Elles gardent ainsi la possibilité d’être adaptées, modifiées, retirées ou pérennisées. Un outil modulable donc, qui permet d’introduire l’usage du vélo de manière moins frontale. « Si l’on commence par dire aux riverains que l’aménagement est un test, qui pourra être rapidement arrêté en cas de perturbations, ils sont ensuite beaucoup moins hostiles au projet », argumente Catherine Pilon. C’est le principe de l’essayage avant l’achat.
Et il semblerait que la méthode ait porté ses fruits. Selon une étude menée en septembre dernier par le Club des villes et territoires cyclables, 67% des collectivités adhérentes ayant répondu au sondage ont mis en place des pistes cyclables de transition. Et seulement 8% d’entre elles ont fait machine arrière en abandonnant leur projet. Les principales raisons évoquées étant la précipitation dans laquelle ces voies ont été créées et la gêne occasionnée au trafic automobile.
En revanche, près de 80% envisagent de pérenniser l’aménagement, de le rendre durable. Et certaines ont innové en la matière. Le Havre Seine Métropole a inauguré, en juin 2020, le premier carrefour d’inspiration néerlandaise, en France. L’espace dévolu à la voiture y a été réduit pour assurer continuité et sécurité aux cyclistes. « Des séparateurs délimitent les trajectoires des cyclistes venant des quatre côtés du croisement. Des îlots de protection ont également été posés pour favoriser la co-visibilité des usagers et de minimiser le risque de conflits, notamment entre conducteurs de véhicules motorisés tournant à droite et cyclistes », explique le Club des villes et territoires cyclables.
Pour la Communauté urbaine, l’aménagement de ce carrefour était une priorité, car situé à un endroit stratégique du Havre, à la croisée de plusieurs quartiers importants. Mais les cyclistes fréquentaient peu cet axe, le jugeant trop dangereux. Des capteurs ont été placés après la structuration du croisement “à la néerlandaise” afin d’y observer son utilité. « Sur la seule rue André Carreté (branche Est du carrefour) le flux de cyclistes a augmenté progressivement. Au mois de juillet, la fréquentation était estimée à 350 vélos par jour. Elle est passée à 415 la première semaine de septembre, alors même que les étudiants n’avaient toujours pas fait leur rentrée », observe Adrien Verdière, chef de projets “aménagements cyclables” de la collectivité havraise. Et aucun embouteillage n’a semble-t-il été généré par cette piste de transition.
« Une opération vertueuse », pour Catherine Pilon. Et qui pourrait conduire le Havre Seine Métropole à pérenniser cette restructuration du carrefour, quai Lamblardie-Delavigne. Pour la communauté urbaine, l’adhésion de la population à ce projet a été facilité par la méthode employée du test avant la construction définitive. Aussi appelée “urbanisme tactique”. Neuf administrations territoriales sur 10 estiment même que ce processus pourrait être judicieux, appliqué à d’autres domaines.
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