Elles sont étudiantes en journalisme, n’ont que la vingtaine et réalisent leurs premiers pas dans le monde professionnel. Pourtant, elles font face au sexisme, allant jusqu’aux propositions sexuelles. Fragilisées par leur ambition d’intégrer le monde journalistique, ce passage obligatoire dans les médias devient un parcours du combattant. Difficultés pour répondre, précarité de statut, désoeuvrement … Aujourd’hui, elles témoignent.
« Un jour, un journaliste m’a coupé en pleine proposition d’article pour dire, d’un air très amusé, “Elle n’est pas que jolie en fait, elle en a sous le pied” » témoigne Léa, en stage dans un grand quotidien régional. Un cas isolé ? Certainement pas.
Sous couvert d’anonymat, une quinzaine d’étudiantes en journalisme ont décidé de partager leurs expériences difficiles dans différents médias français.
De « Ça va-gin ? » à « Tu as tout l’attirail vestimentaire pour un film porno », le constat est clair… La limite entre les blagues quotidiennes et les propos abusifs, extrêmement difficile à définir et souvent objet de controverses, a de nombreuses fois été franchie. Confrontées à des situations sexistes, allant jusqu’aux propositions sexuelles, ces futures professionnelles partagent un seul et même sentiment : celui de ne pas avoir su réagir dans l’instant.
« En stage dans une radio régionale, nous avons réalisé une émission au sujet de l’égalité femme-homme. À la fin de la diffusion, mon tuteur nous a demandé de monter dans son bureau pour débriefer, avant d’ajouter, devant l’invitée “Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous demander de vous déshabiller, je ne suis pas Harvey Weinstein” » confie Margaux, envahie par un sentiment de honte. Une demande non-explicite, que le tuteur a toutefois formulé quelques jours plus tard : « Je portais un tee-shirt légèrement décolleté. J’ai demandé à ma collègue s’il n’était pas trop vulgaire, puis mon tuteur a réagi “Oh, tu peux me montrer tes seins tu sais, une autre stagiaire l’a déjà fait”», poursuit l’étudiante.
Sous-entendu, remarques… La tenue vestimentaire de ces jeunes stagiaires fait bien souvent l’objet de discussions. « J’avais l’impression que tous les jours, certains journalistes se sentaient obligés de commenter mes vêtements », souligne Audrey. « Ce n’est pas extrême, mais suffisant pour nous mettre mal à l’aise », ajoute Noa.
Il y a plus de dix ans, Lola faisait le même constat. En stage dans un média à Rennes, un de ses collègues lui a promis de répondre à sa demande, uniquement si la jeune femme retirait sa veste, pour entrevoir sa robe. « Tous les hommes assis autour de moi ont éclaté de rire. J’étais estomaquée », se souvient-elle. Le lendemain, elle a rapporté ces propos à la direction. L’homme en question, présent dans l’open space, lui a adressé un mail d’excuses : « Il n’a même pas eu le courage de venir me voir en face », termine la journaliste.
La journaliste Marine Périn, membre de l’association Prenons la Une, diffuse son propre témoignage autour du harcèlement au travail :
« Il me demandait de sourire, était tactile, me surnommait “Ma belle” », se souvient Alice. Les petits surnoms, signes de paternalisme ou de sexualisation, deviennent un problème pour les jeunes femmes, en proie à un sentiment de malaise, comme dans le cas de Léa : « Une fois, je me suis baissée pour attraper un gâteau à la machine. Un des journalistes est arrivé derrière moi, m’a sifflé et a ajouté “pas mal ma puce” ». Ce même homme lui caressait le cou et les cheveux en passant derrière elle dans la rédaction. « Il faisait ça devant tout le monde, dans l’open-space. Il a même jeté un bonbon sur mon bureau en disant “Je n’ai pas eu le temps de faire la sortie des écoles, mais tu feras l’affaire” ».
Des propos et gestes réducteurs, que Louise a également subis dans une rédaction sportive. « Après trois semaines de stage, je suis allée voir un des rédacteurs en chef adjoint pour parler du planning. Il m’a regardé, et dit “Ah oui, je ne me souvenais plus de ton prénom, alors j’ai marqué choupette”. Il connaissait les prénoms des garçons arrivés après moi, pourquoi ne se souvenait-il pas du mien ? », questionne la jeune femme.
« Écoeurées », un sentiment partagé par les étudiantes, en pleine découverte du métier qu’elles ambitionnent d’exercer. En stage dans un média clermontois, Lola se souvient d’un moment difficile : « Je racontais un reportage, quand un des photographes s’est mis à me singer, à imiter mes propos avec une intonation sexuelle, pour finir par lancer de grands cris d’orgasme. Ça a duré très longtemps ». Le chef du département est intervenu pour demander au photographe de se calmer. Lola n’a plus levé la tête de son clavier durant le reste de la journée. Sarah, elle, demandait à son collègue de l’accompagner pour aller chercher un thé, car elle avait peur de se retrouver seule avec son rédacteur en chef.
« Un soir, alors que nous finissions plus tôt le bouclage de notre édition, mon tuteur m’a proposé d’aller boire un verre pour “debrieffer”. J’ai accepté naïvement », se souvient Manon, en stage dans une rédaction locale. « Nous nous sommes assis à la table, puis il m’a expliqué que sa femme l’avait quitté, qu’il se sentait seul, tout en me faisant du pied. J’ai bredouillé un truc sur mon petit ami qui m’attendait et me suis mise à observer les allées et venues des collègues dans le bistrot. L’assistante, le photographe… puis un journaliste bienveillant m’a fait signe. Je me suis levée pour le rejoindre. Je dois dire qu’il m’a bien sauvé la mise. Ils avaient tous vu venir l’entourloupe… », explique la jeune femme.
Chloé et Éva ont vécu des situations similaires avant même d’intégrer le média. Cette dernière a demandé à un journaliste radio combien de temps pouvait-elle être prise en stage. Sa réponse ? “Je te prendrai pendant des heures”. En recherche d’emploi avec peu d’expérience, Chloé s’est tournée vers quelques contacts, dont un journaliste qu’elle connaissait déjà. « Il m’a invitée à un repas chez lui pour que l’on prenne le temps de discuter, je ne me suis pas méfiée. Il s’est rapidement approché de moi sur le canapé et a commencé à me caresser. Je lui ai signifié que je n’étais pas là pour ça ». Il n’a pas insisté, mais a expliqué à Chloé que son couple battait de l’aile. « Le pire, c’est qu’il y avait des photos de sa femme et ses enfants dans l’appartement », rapporte la jeune femme.
« Quand tu es une jeune journaliste stagiaire, tu n’as pas un niveau intellectuel suffisant pour comprendre le métier », résume Noa, souvent confrontée aux regards réducteurs de ses confrères dans les rédactions. Dans le cas de Léa, sa direction lui a clairement fait comprendre que son genre ne lui permettait pas de traiter tous les sujets. « J’avais réussi à décrocher mon entrée pour une visite de presse en avant-première d’un stade. La veille, la rédactrice en chef a refusé que je m’y rende, en se justifiant “Nous n’allons pas laisser Audrey parler de rugby, c’est une fille”. Je me suis sentie rabaissée. Ironie du sort, j’ai joué au rugby pendant six ans », s’amuse l’étudiante, encore déconcertée.
« Le problème, dans ce genre de situation, c’est que tu ne sais pas quoi répondre. Tu as seulement envie de prouver que tu n’es pas stupide », résume Noa. Le milieu sportif est d’autant plus impacté par ce sexisme. Louise explique qu’à son arrivée dans un média national de sport, l’image de la « stagiaire incompétente » lui collait déjà à la peau, et ne l’a jamais quittée.
Dans d’autres cas, le physique des stagiaires prévaut sur leurs compétences. « On m’a envoyé sur un micro-trottoir à la place d’un autre stagiaire parce que, je cite : “les petites minettes et les jolis sourires ça attire toujours plus de réponses” », explique Léa. En stage dans un média audiovisuel national, Charlène a eu droit aux même remarques : « Un homme m’a dit “Tu es jolie, c’est un bon atout pour réussir à la télé” ».
À la suite de son témoignage, Audrey se demande pourquoi elle a « laissé faire tout ça …». Malgré quelques tentatives de réponses, elle n’a jamais osé aller plus loin. À l’inverse, Louise connaît les raisons de son silence « J’avais juste envie de travailler, je ne voulais pas entrer dans le conflit ». « Moi, je n’avais clairement pas envie de me griller auprès des médias », poursuit Léa. Alice, elle, a tenté d’en parler, mais l’animatrice radio du média dans lequel elle était en stage depuis quelques semaines l’en a empêché : « Elle m’a dit “Non, ne fais pas ça, ça va me retomber dessus” ».
En interne, certains médias font de la prévention. Adeline voyait des affiches placardées sur les murs de l’open-space d’un média national. « Il y avait marqué “Si vous êtes victimes de harcèlement, parlez-en à la direction ” ». Un communiqué a également été envoyé à tous les journalistes d’une société d’édition de l’Ouest de la France, suite à la publication de l’enquête “#EntenduALaRédac” (qui met en avant le sexisme et les violences sexuelles subies par les journalistes et les étudiants en journalisme dans les médias français, ndlr) en mars 2019. Il mentionne : « Nos services RH sont à l’écoute pour protéger les éventuelles victimes et sanctionner les harceleurs », tout en incitant à la vigilance. En attendant, toutes les jeunes filles interviewées pour cet article ont souhaité témoigner anonymement.
Alix Drouillat
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