À Toulouse, quatre amis, dont un couple avec enfant, ont décidé d’acheter une maison à plusieurs par l’intermédiaire d’une Société civile immobilière. Reportage dans ce drôle de foyer mû par la passion du collectif.
C’est une maison classique dans une rue tout ce qu’il y a de plus pavillonnaire à deux pas du métro Mermoz à Toulouse. De l’extérieur, seuls une caravane installée dans la cour ainsi qu’un mannequin en plastique trônant au dessus de la clôture témoignent du projet alternatif qu’elle abrite.
En effet, depuis juin 2019, une famille pas tout à fait comme les autres vit ici. Une famille composée de quatre amis trentenaires, Alexandre, Marine, Hegoa et Florian, ainsi que du fils de ces deux derniers, âgé d’un an et demi. Ensemble, ils ont choisi un mode de vie plutôt rare, puisqu’ils ont acheté la maison en commun et sont donc tous propriétaires des lieux. “Alexandre, Florian et moi vivions ensemble en colocation depuis quatre ans. Quand nous avons appris que nous attendions un bébé avec Flo, nous avons décidé de partir avec avec la volonté d’être à l’initiative de projets collectifs, que ce soit pour le travail ou pour l’habitat”, raconte Hegoa, intermittente du spectacle, comme son compagnon.
Outre la dimension politique de ce choix, le couple est confronté à une problématique que connaissent de nombreux Toulousains : le besoin de place supplémentaire d’un côté et des loyers de plus en plus inabordables de l’autre. Plusieurs options sont envisagées, comme l’achat d’un terrain sur l’aire de la métropole pour y disposer des containers. “De mon côté, je n’avais pas forcément dans l’idée d’acheter. À ce moment, je venais de démarrer une réorientation professionnelle pour devenir instituteur, je n’avais pas vraiment de certitudes sur l’avenir”, témoigne Alexandre. Pourtant, c’est lui-même qui va débloquer la situation. Militant de gauche, comme ses trois camarades, partisan de la collectivisation des biens, il décide de mettre le double héritage qu’il vient de percevoir au profit du projet collectif.
“Nous avons alors commencé une veille sur les maisons à Toulouse, mais elles étaient soit hors de prix, soit pas du tout adaptées à nos besoins sur le plan architectural. Jusqu’à ce que nous tombions sur celle-ci”. Les vendeurs sont pressés et l’affaire se conclut rapidement. L’apport d’Alexandre permettant de se passer de tout emprunt auprès d’une banque. Pour autant, tout n’a pas été aussi simple. Pour réaliser leur projet, les amis ont opté pour la création d’une Société civile immobilière (SCI), composée de trois entités : une composée de Florian et Hegoa, une de Marine et une d’Alexandre. Chacune possédant un tiers des parts de la société.
“Pour les agents immobiliers ou les notaires, nous étions des OVNI, ils ont essayé de nous dissuader. Ce statut complique beaucoup de choses au niveau administratif, mais de notre côté tout était clair”, poursuit l’instituteur. Ainsi, s’il a accepté de mettre son propre patrimoine en jeu, c’est en raison de la grande confiance qui lie les coacheteurs. Tous les mois, les deux autres entités remboursent en effet Alexandre par l’intermédiaire de la SCI. De telle sorte que dans 13 ans, tout le monde sera bel et bien logé à la même enseigne.
Comme dans la maison, qui a été aménagée pour que chaque entité dispose de 35m² carrés privatifs avec deux chambres, une salle de bain, des toilettes et une entrée propre. “Même si ce n’est pas le but, nous avons la possibilité de ne pas nous voir”, lance Hegoa. Pour les temps communs, la bâtisse est composée de 70 m² d’espaces collectifs dont une cuisine, un grand salon et une véranda à l’étage, ainsi qu’une salle bibliothèque au rez-de-chaussée. Quelques travaux doivent encore améliorer les lieux. Comme pour tout achat au sein du foyer, ils seront à nouveau mutualisés financièrement. “Nous achetons tout ensemble. Économiquement, nous y gagnons tous énormément. Avec la précarité de notre travail, cela nous garanti un logement que nous pouvons payer, même si nous nous retrouvons en galère. Et puis, j’ai toujours vécu à plusieurs, donc c’est tout à fait normal pour moi”, confie Florian.
Composé de quatre adultes et d’un enfant, ce drôle de ménage se vit comme une famille recomposée, plus que comme une colocation. Les repas se prennent la plupart du temps ensemble, sans aucune obligation. Alexandre et Marine gardent volontiers le fils de leurs amis. Comme dans toute maison, les tâches ménagères peuvent faire l’objet de tensions. “Il y a un équilibre qu’il faut en permanence chercher, mais grâce à l’habitat collectif, quand l’un est plus occupé, les autres prennent le relais”, observe Florian. L’hiver dernier, la maison a même accueilli un premier repas de Noël avec des bouts de famille de chaque habitant.
Bien sûr des questions se posent. Notamment sur la capacité des actuels ou futurs compagnes et compagnons d’Alexandre et Marine à accepter ce mode de vie. “Les questions se posent quand elles arrivent. Actuellement, ma vie n’a pas tellement changé, je me sens libre, sans contrainte. Je vis par exemple très facilement le fait d’habiter avec un enfant. Je me verrai bien fonder une famille ici, on verra bien”, philosophe Alexandre. Quoi qu’il en soit, tout a été pensé de manière à ce que chacun puisse partir à n’importe quel moment en louant sa part ou en la revendant.
Malgré la bienveillance que suscite leur projet auprès de leur entourage ou dans le quartier, les cohabitants regrettent que l’habitat collectif ne soit pas plus développé que cela. “J’ai l’impression que cela commence à peine à avoir de l’écho, alors que c’est une pratique qui répond à de nombreuses problématiques contemporaines. Et sur le plan idéologique, même si c’est difficile, je suis convaincue qu’on vit mieux en expérimentant le collectif”, souffle Hegoa.
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