Des corps nus et tourmentés par un désir vorace. Des scènes dévoilant, sans fard, la misère de la rue. Sous le trait heurté de Laurence Leroy, alias Coco Pirate Production, une artiste punk, anarchiste, lesbienne et polyhandicapée, la révolte et la soif de vivre se confondent. Une exposition engagée à découvrir au Winger Bar, rue Bayard.
L’artiste Coco Pirate Production, avec son chien Surprise, expose au Winger Bar à Toulouse © DRDestin tracé. C’est à huit ans que Laurence Leroy découvre sa vocation. « En classe, j’ai fait un dessin assez parfait et la maîtresse m’a prédit une carrière comme professeur d’arts plastiques », se rappelle-t-elle. L’enseignante ne le sait pas, mais elle a visé juste et vient de poser les lignes de force d’un rêve. La voie de la petite fille est définitivement scélée. Elle ne lâche plus ses crayons, croque sans relâche le monde qui l’entoure (surtout des animaux) et, quelques années plus tard, est admise à l’École des Beaux-Arts.
Ligne de basse. Entre deux dessins, la jeune artiste s’adonne également à la musique. Au lycée, elle apprend la basse pour pouvoir jouer avec ses amis. Fan de Patty Smith et de punk New wave, l’adolescente est déjà animée par un esprit de révolte. Un caractère rebelle qu’elle hérite de sa mère, militante féministe. « Quand j’étais enfant, elle m’amenait en manifestation à Paris. C’est là que j’ai découvert l’odeur de la lacrymo », s’amuse l’artiste qui, près de 40 ans plus tard, bat toujours le pavé. Notamment, avec les Gilets jaunes dont elle ne rate aucun rassemblement.
Ligne brisée. Comme la plupart des étudiants, celle qui signe déjà ses œuvres du nom de Coco Pirate Production, travaille pour financer sa formation. Chez Mac Donald’s. Jusqu’au jour où elle est terrassée par une hémorragie cérébrale en plein service. Aux urgences, son look marginal joue en sa défaveur. Les médecins la prennent pour une droguée, alors qu’elle est « clean », et tardent à la prendre en charge. « Je n’ai aucun souvenir des deux ans qui ont suivi mon accident », raconte Coco Pirate qui ne s’en sortira pas sans de lourdes séquelles.
À main levée. Pour la jeune femme, atteinte d’un profond trouble du langage et clouée sur un fauteuil roulant, il est inconcevable de baisser les bras, de cesser de vivre, d’aimer ou de peindre. « À partir de 1996, j’ai dû tout réapprendre. Notamment à écrire et dessiner », ajoute-t-elle. Pour surmonter son handicap, elle est même obligée de changer de main pour tenir son crayon. La gauchère doit désormais saisir le monde de sa main droite. Le trait tremble un peu. Mais, avec le temps, on finit se demander si c’est le fait de son handicap ou de la colère. « J’en suis devenue anarchiste de colère sans des couleurs maintenent… », comme elle l’écrit laborieusement sur l’une de ses oeuvres.
La courbure du cœur. En 2011, Coco Pirate rencontre Hélène, sa future femme également atteinte d’un handicap, moins visible que le sien, suite à un accident de voiture. Les deux amoureuses se marient en 2014 à Toulouse, au Capitole. Une soif d’aimer qui transparaît au premier coup d’œil sur ses tableaux. Les corps féminins et tourmentés qu’elle peint à l’acrylique sont saisis dans des élans voluptueux d’où transpire un désir vorace. L’artiste ne s’en cache pas, elle aime provoquer. « J’aime ce qui est un peu destroy. Montrer les choses comme elles sont, de manière crue. Il y a aussi une petite référence à Picasso », confirme-t-elle avec un sourire qui, a 50 ans passé, conserve une pointe d’espièglerie.
À poings levés. Pour sa dernière exposition, au Winger Bar, Coco Pirate s’est lancée dans une série de dessins chroniquant, au feutre, la vie de la rue Bayard. Des scènes aussi naïves que brutales, parfois à la limite de l’obscénité, où se côtoient des sans-domicile crasseux, les commerçants du quartier, les compagnies de CRS ou les figures écrasantes d’hommes politiques. « Si ça dérange, ça m’est égal. Dans mes dessins, j’accuse les riches et les politiques, car ils nuisent à la nature et aux plus faibles qu’eux. Je représente ceux que l’on oublie et que l’on finit par ne plus voir. Sûrement parce que je partage cette difficulté avec mes personnages », analyse Coco Pirate.
Celle-ci a d’ailleurs prévu de poursuivre cette chronique commencée au pied de son immeuble, dans les rues avoisinantes. Pour continuer à exposer et rappeler qu’il est important de s’ouvrir à l’autre. Tel qu’il est.
Infos pratiques
Du 25 septembre au 25 octobre 2020
Au Winger Bar, 68 rue Bayard
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