Unanimité. Une fois n’est pas coutume, nos trois invités du jour étaient sur la même longueur d’onde. Pourtant, les sujets choisis pouvaient facilement amener des divergences de vue : les frappes en Syrie qui auraient touché des djihadistes français ; l’extrême gauche qui soutient les salariés d’Air France interpellés pour violences ; et des parents d’élèves qui recrutent un professeur sur le bon coin.
Par Séverine Sarrat et Coralie Bombail
Le rendez-vous est donné au Bibent, en ce mardi matin pour une formule ‘‘café-croissant-actu’’. Eric Zerbib, vice-président de la Licra, Anthony Vella, jeune Républicain et Sylvie Delpech, gérante de deux Biocoop à Toulouse, prennent place sur les banquettes rouges en velours. Le premier sujet n’est pas facile à attaquer de bon matin : des djihadistes français auraient été tués lors d’une frappe contre un camp d’entraînement de l’Etat islamique. Eric Zerbib se lance en premier : « La France a raison de combattre Daesh, elle ne frappe pas une nationalité ; on parle de djihadistes français, je n’aime pas ce terme, ce sont des djihadistes tout court, ils sont partis faire la guerre, ils ont donc pris le risque de mourir. » Anthony Vella poursuit en ce sens : « Ils ont perdu les valeurs de leur pays lorsqu’ils ont franchi la frontière syrienne, mais on ne peut se réjouir de la mort de ces personnes car il faut penser aux familles qui se sont fait voler leurs enfants. » Pour ce jeune Républicain, « ce camp d’entrainement représentait une menace imminente pour la France. »Eric Zerbib rappelle d’ailleurs que « la France est la première cible du terrorisme en Europe ». Bref, pas de quoi créer une polémique selon nos invités. « C’est de la mauvaise communication, mais l’erreur ne vient pas du gouvernement, l’information a fuité dans la presse », révèle le vice-président de la Licra. « Pendant ce temps, on ne parle pas beaucoup de ceux qui partent combattre Daesh », regrette Anthony Vella. Sylvie Delpech estime que la France assume « son devoir de protection de la population en Syrie », mais s’interroge davantage sur « l’opposition entre Chiites et Sunnites dans toute cette Région, comment on peut résoudre ce problème ? Il y a plusieurs niveaux de conflits qui s’imbriquent les uns aux autres, en plus des enjeux économiques des occidentaux qui entrent en ligne de compte. »
« En France, on a un problème avec le patronat car on est encore dans la lutte des classes »
C’est un tout autre conflit qui va maintenant monopoliser la conversation : celui qui anime Air France depuis des semaines. Il est arrivé à son paroxysme la semaine dernière lorsque le DRH de l’entreprise a été violemment pris à parti par des salariés. Cinq d’entre eux sont en garde à vue prolongée, ce qui indigne certains politiques français, dont Jean-Luc Mélenchon et Cécile Duflot. « Je ne comprends pas le soutien à ces salariés », réagit d’emblée Anthony Vella, « il y a eu une agression physique, elle doit être punie comme le prévoit la loi. » Sylvie Delpech acquiesse : « C’est un fait de violence, engendré par quelques personnes qui sont sous-traitants d’Air France, ils ne sont pas directement concernés mais ils ont profité de l’ambiance pour se faire remarquer… On le voit souvent dans les manifs, c’est l’effet foule », remarque-t-elle. En tant que chef d’entreprise, elle pousse l’analyse plus loin : « En France, on a un problème avec le patronat car on est encore dans la lutte des classes alors qu’on devrait dépasser ce débat-là.» « Complètement d’accord » avec ces propos Eric Zerbib enchaine : « On ne conteste pas la souffrance sociale mais elle n’excuse pas tout. Le dialogue n’existe plus, le discours syndical inaudible qui date du 19ème siècle et les salariés n’ont plus confiance. » En résumé, « les syndicats sont has been », selon lui. Pour en revenir à la gauche de la gauche, le vice-président de la Licra ne mâche pas ses mots non plus : « Jean-Luc Mélenchon reste sur son fond de commerce, mais il est dangereux ; j’étais à l’étranger au moment des faits, cela a véhiculé une très mauvaise image de la France, nous étions ridicules. » Pour Anthony Vella, la réaction de Jean-Luc Mélenchon « entraine la méfiance des électeurs et des jeunes entrepreneurs qui préfèrent s’installer dans d’autres pays… Il parle d’humiliation des salariés, c’est un peu fort. » Ecolo convaincue, la gérante de Biocoop ne peut s’empêcher de glisser un mot sur Cécile Duflot : « On constate aujourd’hui qu’elle va de plus en plus à gauche, je ne comprends pas pourquoi elle s’enferme dans cet extrémisme politique alors que l’écologie devrait être apolitique ; ce n’est pas ce genre de personnes qui seront l’avenir de l’écologie en France », tranche-t-elle. On referme cette parenthèse très politique. Sur le dossier Air France, chacun a conscience que la reprise des négociations est compliquée dans ce contexte « mais Air France doit se réformer pour être en accord avec le marché mondial, ce n’est pas de la politique, c’est de l’économie et du bon sens », conclut Sylvie Delpech.
« L’Etat n’a plus d’argent et l’éducation est mise entre parenthèses»
Nous terminons de siroter nos jus d’orange et entamons le dernier sujet à l’ordre du jour. Suite à la fermeture d’une classe dans une école à Concarneau, des parents d’élèves ont décidé de recruter un professeur sur le bon coin pour éviter que leurs enfants se retrouvent dans une classe surchargée. « Une très bonne idée pour faire le buzz », lance le jeune Républicain, « ils ont essayé d’alerter le rectorat, le ministère, mais c’est un dialogue de sourd… Maintenant, ils vont peut-être être entendus. » « Quand on est face à une grosse machine, on constate souvent une inertie, une inefficacité, c’est la même chose dans les grandes entreprises », relève Sylvie Delpech. Pour Eric Zerbib, le problème est que « l’Etat n’a plus d’argent et l’éducation est mise entre parenthèses au profit d’autres domaines ». L’association des parents d’élèves se dit même prête à payer le professeur en question. Une idée qui fait bondir la chef d’entreprise : « On paye suffisamment d’impôts pour que nos enfants puissent aller à l’école, on va tous finir par les mettre dans le privé, au moins il n’y a jamais de grève ! » En revanche, elle salue l’implication des parents « car l’éducation se fait à 50% à l’école et à 50% à la maison ». Sur ces bonnes paroles, nous libérons nos trois invités. Et la journée commence !
Mini-bios
Sylvie Delpech
Résolument écologiste, elle est la gérante des Biocoop situées à Jean Jaurès et place de la Trinité. Elle peut se targuer d’avoir embauché 25 salariés en 5 ans sur ses deux magasins. Basée sur un système coopératif de consommation, de distribution et de production, l’enseigne compte aujourd’hui 13 boutiques dans l’agglomération toulousaine.
Anthony Vella
Négociateur en immobilier pour la société Era de Tournefeuille, il est parallèlement adhérent au mouvement des Jeunes Républicains 31. Militant depuis 2010, il avait pourtant laissé les considérations politiques de côté, avant de se réengager et de diriger la campagne départementale de Christophe Alvès et Marthe Marti cette année.
Eric Zerbib
Cet avocat au barreau de Toulouse et de Paris a été président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) avant de prendre la vice-présidence de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), fonction qu’il occupe aujourd’hui. Il y est chargé d’une mission nationale incluant la réflexion aux idées nouvelles mais aussi des questions juridiques.
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