Marc et Nadira Blata, Nabilla Benattia, ou encore Maeva Ghennam et Magali Berdah… sont devenus la cible du rappeur Booba qui a entamé une lutte sans merci sur les réseaux sociaux contre les influenceurs qui promeuvent des produits financiers hautement spéculatifs et frauduleux. A l’Assemblée nationale, c’est le député de Haute-Garonne, François Piquemal, qui incarne ce combat contre ceux que l’on appelle désormais les “influvoleurs”. Il a d’ailleurs interrogé le gouvernement à ce sujet. Il explique pourquoi dans cette interview.
François Piquemal, comme Booba, que vous citez volontiers, vous vous êtes emparé du combat contre les influenceurs ayant des pratiques frauduleuses. Pourquoi cet intérêt soudain pour les ‘influvoleurs” ?
Paradoxalement, ce sujet n’est pas venu à moi par les réseaux sociaux. Deux personnes de ma circonscription (4e de Haute-Garonne, NDLR) m’ont interpellé suite à des arnaques dont ont été victimes plusieurs de leurs proches. Et puis, j’ai vu que la presse y avait consacré de nombreux articles, que les associations œuvrant à la prévention et à la surveillance de ce genre de malversations se faisaient entendre de plus en plus… Sans compter les interventions du rappeur Booba qui ont surmédiatisé le sujet. Mon intérêt a donc grandi au fur et à mesure que le problème prenait de l’importance.
Avec ma collègue Nadège Abomangoli (députée de Seine-Saint-Denis), nous avons décidé de rédiger une question écrite car nous nous sommes aperçus qu’aucune n’avait été posée au gouvernement sur le sujet.
Vous vous intéressez principalement aux influenceurs qui promeuvent des produits financiers frauduleux. S’agit-il des arnaques les plus dangereuses selon vous ?
Nous nous intéressons à toutes les formes de fraudes qui peuvent exister mais il est vrai que la vente de produits financiers frauduleux sur les réseaux sociaux est un symptôme de la financiarisation de l’économie et d’un capitalisme sauvage omniprésent, ce qui, naturellement, a retenu mon attention. D’ailleurs, nous dénonçons ce dernier phénomène depuis longtemps et pensons qu’il est nécessaire de sortir de ce modèle de société.
Quant à une graduation de la dangerosité des arnaques via les réseaux sociaux, il est difficile d’en effectuer une. Ce qui reste dangereux est l’utilisation d’une influence à des fins commerciales, lucratives, de profits, et parfois d’arnaques.
Pouvez-vous expliquer ce qui pose problème avec des influenceurs comme Marc ou Nadira Blata, pour les plus connus, qui affirment livrer des conseils d’investissements ? Où est l’arnaque ?
En réalité, il y en a deux. La première est celle de la publicité déguisée. Sous couvert de leurs “stories” sensées montrer leur vie réelle, qui fait rêver des millions de jeunes, ils sont payés pour vanter des produits qu’ils n’utilisent pas forcément comme ils le font croire à leurs followers. Certains articles dont ils prônent l’efficacité peuvent même s’avérer dangereux pour la santé.
La seconde est celle des produits financiers frauduleux. En effet, les investissements dont ils font la publicité sont parfois illégaux en France. Certains influenceurs par exemple, promettent des formations pour devenir des courtiers avisés, qui pourront réaliser de gros profits, très rapidement, et avoir la même vie qu’eux à Dubaï… Au final, les internautes investissent et souvent s’endettent car les rendements promis ne sont pas au rendez-vous.
On est là dans la quintessence du capitalisme, où l’on pousse à la surconsommation et l’on prône une vie idéale dans un paradis fiscal où l’on ne paye pas d’impôts et où l’on ne participe pas à l’effort collectif. Faire penser aux gens que tout cela leur sera accessible est déjà une arnaque en soi.
Ces publicités déguisées en conseils avisés sont interdites par la loi Sapin II. Comment expliquez-vous qu’elles soient si répandues sur les réseaux sociaux ?
Effectivement, la loi préservant de ces dérives existe. Le problème reste son application. Pour cela, il faudrait allouer des moyens humains et financiers. Par exemple, il faudrait donner des moyens à la police judiciaire qui traque la grande criminalité, aux policiers qui agissent contre la cybercriminalité et aux offices qui en sont chargées. Il s’agit-là d’un choix budgétaire. Et je pense que ce dernier doit être plus conséquent au vu des dangers que ces influenceurs font peser sur un certain nombre de nos concitoyens.
Pensez-vous que ces arnaques sont d’autant plus dangereuses en cette période inflationniste où certains peuvent être plus facilement sensibles au gain d’argent facile ?
Effectivement, la période que nous vivons peut augmenter le nombre des victimes potentielles. Les gens peuvent être tentés d’essayer. Et s’ils parviennent à générer un peu d’argent au départ, investir toujours plus, pour finir par tout perdre et se retrouver endettés. D’autant que notre société capitaliste présente la richesse comme une réussite de vie. Et c’est ce que proposent ces influenceurs. Mais la vraie vie, c’est pas des “stories”, c’est pas les paradis fiscaux écocides où les droits de l’Homme, et surtout de la femme, sont souvent bafoués. Ce n’est finalement pas une vie désirable ni soutenable.
Vous avez interpellé le ministre de l’Economie et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, à ce sujet, qui lui affirme que des contrôles réguliers sont effectués et que des sanctions sont prises – Nabilla Benattia a été condamnée à 20 000€ d’amende en 2021. Qu’attendez-vous du gouvernement ?
Les contrôles ne sont pas suffisants. Aujourd’hui, ces influvoleurs pullulent. D’autant plus depuis le confinement dû à la crise sanitaire de la Covid-19. Et il ne faut pas s’intéresser qu’aux plus connus.
Il faudrait donc que le gouvernement mettent la pression aux plateformes pour qu’elles identifient les personnes qui font du placement de produits et qui sont signalées pour avoir été les auteurs d’arnaques. De la même manière qu’elle certifie des comptes sur les réseaux sociaux pour assurer l’authenticité de l’identité du titulaire, elle pourrait certifier les comptes des personnes qui en font une activité lucrative. Ainsi les internautes sauraient immédiatement que les posts ne sont que des publicités. Il y aurait de fait, un contrôle sur la qualité réelle des produits matériels ou immatériels.
Il faudrait également une vaste campagne de prévention de l’État, sujet sur lequel nous allons essayer d’être pro-actifs. Il faut prévenir les gens qui suivent ces influenceurs des potentielles fraudes auxquelles ils peuvent être confrontés.
Quant à la domiciliation de ces influvoleurs dans des paradis fiscaux, nous revenons sur notre proposition d’un impôt universel. Il imposerait à tous ceux qui disposent de la nationalité française, peu importe leur lieu de résidence, de s’acquitter de l’impôt. Ils n’échapperaient donc plus au fisc.
Ni à la justice. Afin que les influenceurs soupçonnés de fraudes, généralement installés à l’étranger, dans des paradis fiscaux, puissent en répondre devant des tribunaux, il conviendrait de les extrader.
Quelles seraient vos propositions pour endiguer ce phénomène ?
Ce sont des pistes sur lesquelles nous allons travailler. Avec la députée Nadège Abomangoli, nous élaborerons des propositions que nous présenterons d’ici la fin de l’année à l’Assemblée nationale.
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