Ces dernières années, des groupuscules d’extrême droite tentent de récupérer les causes anticapitalistes et écologistes au nom de la défense de l’identité nationale. Elles ont même lancé, ici et là, des initiatives sur le modèle des Amap pour diffuser leurs valeurs. La vigilance est de mise devant la confusion des genres.
DRDans la région Occitanie, le phénomène a surgi il y a quatre ans. Au plus fort de la mobilisation contre le barrage de Sivens dans le Tarn, des affiches reprenant les codes et les mots des zadistes installés là depuis plusieurs semaines sont apparues furtivement dans les rues de Gaillac, comme le révélait alors le site Reporterre. En y regardant de plus près, ces tracts, recommandant de ne pas laisser « le profit détruire la nature », renvoyaient à la lecture du journal ”Rebellion”, publication d’ordinaire peu goûtée des altermondialistes. « J’ai effectivement eu vent de cette tentative d’infiltration de la ZAD de Sivens par la revue ”Rebellion” et une poignée de militants du Mouvement d’action sociale (Mas), dont la devise est : social, national, radical. Mais c’était une tentative très maladroite, les gens du Mas ont été immédiatement identifiés.
Ce mouvement comptait quelques activistes qui peinaient à diffuser leurs idées. Il a d’ailleurs annoncé sa dissolution en 2016 », détaille Jean-Yves Camus, politologue spécialiste des extrêmes droites en Europe et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Le journal ”Rebellion”, lui, est édité à Toulouse par l’Organisation socialiste révolutionnaire européenne, groupuscule qui affirme dans son texte de présentation sur Internet vouloir « aller au-delà des clivages dépassés entre la gauche et la droite » et « refuser la logique de destruction de la nature au nom du profit », tout en décrivant l’immigration comme « une tragédie ». Un mélange des genres peu habituel, significatif de l’évolution idéologique d’une mouvance de l’extrême droite.
Dans un autre texte publié sur le site du Cercle Non Conforme, des tenants de cette mouvance appellent même à la convergence des luttes avec les milieux radicaux de gauche engagés dans la cause environnementale : « On objectera que, parmi les occupants des ZAD, figurent les ineffables porteurs de dreadlocks plus soucieux de solidarité avec les sans-papiers que d’autonomie identitaire. Mais au milieu de tous les autres, il se trouve également de jeunes agriculteurs qui ont fait le choix de rester sur les terres de leurs parents », assurent-ils.
En clair, la protection de l’environnement reviendrait à défendre son identité et en quelque sorte la mère patrie. « Pour eux, le cœur de la question politique est l’identité ethnique et la traçabilité de l’individu dans son appartenance à la communauté. Pour cela, ils empruntent la phraséologie de l’anticapitalisme et les enjeux de localisme et d’écologie », analyse Jean-Yves Camus.
À l’instar des milieux que l’on classe d’ordinaire à l’opposé sur l’échiquier politique, ces franges de l’extrême droite entendent donc promouvoir une écologie qui rend à la terre sa fonction sacrée et développer le microcrédit, les Amap et les systèmes d’échanges locaux. « Cette vision traditionnelle de l’agriculture comme pilier de la société est en fait très ancienne. Depuis les années 1920, il existe une aile paysanne très réactionnaire qui défend les produits du terroir contre la grande distribution, rejette les pesticides et l’agriculture intensive, ce qui en soi n’est pas un problème. Il faut juste faire attention aux valeurs qu’il y a derrière », prévient le politologue.
À l’image de Terres Arvernes, plusieurs initiatives, proches du Bloc identitaire, mêlant refus de la société de consommation et écologie ont vu le jour en France, sous forme de groupements d’achats directs de produits, souvent bio. Ces dernières restent toutefois marginales et sont loin de remporter l’adhésion auprès des membres du Front national.
Dans la région Occitanie, aucun représentant du réseau des Amap ou de l’agriculture biologique n’a connaissance de groupuscules identitaires œuvrant dans leur domaine. « J’ai entendu parler d’une organisation qui fait des stages commandos dans la région, mais je ne pense pas qu’ils aient d’activité agricole, cela se saurait », affirme juste la gérante d’une Amap près de Villemur-sur-Tarn.
Pour autant, il faut rester vigilant, assure Jean-Yves Camus : « La confusion des genres peut dérouter, notamment les jeunes. D’autant que les termes utilisés d’ordinaire par les altermondialistes et repris par ces groupuscules commencent à pénétrer les médias et la conscience collective ». En Allemagne, le phénomène est tel que le Land de Rhénanie-Palatinat a diffusé une brochure intitulée ”Protection de la nature contre l’extrémisme de droite”, visant à aider les producteurs biologiques à résister à l’infiltration de leurs rangs.
Commentaires