En pierres taillées ou en marbre sculpté, à un ou plusieurs jets, classées ou pas… les fontaines sont souvent les témoins silencieux d’un pan de notre passé. Certaines ont d’ailleurs un parcours des plus atypiques. Le Journal Toulousain vous dévoile l’histoire originale de cinq fontaines situées en Occitanie.
Trônant sur la place de la Comédie à Montpellier (Hérault), la Fontaine des Trois Grâces est classée au titre des monuments historiques depuis 1963. Mais si sa majestuosité est aujourd’hui reconnue, cela n’a pas été toujours le cas. D’ailleurs, elle n’avait pas cette apparence il y a quelques années. En effet, la sculpture que vous pouvez observer au centre-ville n’est plus qu’une réplique en résine de l’œuvre façonnée par Étienne Dantoine. Ce dernier avait répondu à une commande de la Ville en 1773. Il imagine alors la représentation en marbre des trois grâces, Aglaé, Euphrosine et Thalie, les trois filles de Zeus, personnification de la séduction, la beauté, la nature, la créativité humaine et la fécondité. Il fait réaliser la statue à Carrare, en Italie, qu’il réceptionne quasi terminée et dont il assure les finitions dans son atelier. Certains diront que les auteurs de la sculpture sont donc les marbriers de Carrare et non Dantoine qui n’aura finalement pas travaillé grand-chose sur l’œuvre. D’ailleurs, l’artiste n’a pas signé la réalisation.
Il livre finalement à la Ville un ensemble sculpté, où des groupes d’enfants sont ajoutés sur la base, en 1776. Mais à la vue de l’ouvrage, les édiles de Montpellier dénoncent le contrat, contestant le poids, la qualité du marbre et le travail de sculpture qu’ils estiment approximatif. Dantoine porte l’affaire devant le tribunal, dont les experts jugeront la production « digne de compliments ». Les Trois Grâces sont donc installées place de la Canourgue, pour rejoindre en 1793 la place de la Comédie, sur un socle de marbre blanc. Et ce n’est qu’en 1893 que les déesses seront hissées en haut d’un piédestal rocheux au centre de la place. Mais celles-ci, subissant les agressions de la pollution urbaine, finissent par être trop abîmées ; elles sont remplacées par un moulage en résine en 1989. La sculpture originale étant conservée dans le hall d’accueil de l’Opéra Comédie. Et ce n’est qu’en 2003 que l’ensemble prendra l’apparence qu’on lui connaît aujourd’hui : entièrement rénové, il lui a été rajouté deux bassins superposés, des margelles en pierre et des jets d’eau. Il n’y a donc plus grand-chose d’origine…
À Lacaune, dans le Tarn, une fontaine témoigne de l’histoire de la commune, la Font dels Pissaires ; traduisez “la fontaine des pisseurs”. Ancienne station thermale des années 1850 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le village s’appelait alors Lacaune-les-Bains. Les thermes exploitaient des sources d’eau chaude naturelles, qui avaient pour réputation d’être diurétiques. Dès l’Antiquité, ces vertus étaient connues de tous. Et c’est donc sans surprise que le créateur de la fontaine principale de Lacaune, a choisi pour thème ornemental de jeunes enfants en train d’uriner. Ainsi, en plus de l’esthétique de l’ensemble sculptural, une référence est faite au fondement de la notoriété de la commune : ses eaux. Cette volonté mémorielle n’est pas anodine quand on connaît l’histoire de cette fontaine des pisseurs.
En effet, il faut remonter en 1396, lorsque Jacques II de Bourbon, le fils du comte de Castres, est fait prisonnier lors de la croisade de Nicopolis contre les Turcs. Pour le libérer, les vainqueurs de la bataille de Nicopolis, demandent une rançon. Les habitants de Lacaune ont participé à cette dernière à hauteur de 300 écus d’or, soit plus de 100 000 euros. Pour les remercier, les Consuls de Lacaune ont obtenu le droit d’amener l’eau de la source du Téron jusqu’au centre du village et de construire une fontaine pour la distribuer. C’est ainsi que la commande est passée en 1399 et que l’on décide de l’installer sur la place du Griffoul. Elle sera achevée en 1559. Si elle a été poussée de quelques mètres, la fontaine, est toujours restée au même endroit.
On peut donc observer une vasque polygonale dans laquelle l’eau se déverse par les gueules de monstres médiévaux. Et au-dessus, trône la fameuse sculpture des quatre personnages en bronze qui “pissent” littéralement l’eau de la source. On les surnomme d’ailleurs “les pissaïres”. D’où le nom actuel de la fontaine, qui est classée Monument historique depuis 1913.
Et si les “pisseurs” de la fontaine de Lacaune ont résisté à la bienséance et au puritanisme de l’époque, ce n’est pas le cas de ceux de la fontaine du Griffoul (source jaillissante en Occitan) à Toulouse. En effet, la sculpture originelle ne correspond pas à celle visible aujourd’hui sur la place Saint-Étienne. Célèbre pour être la première fontaine municipale construite dans la Ville rose, elle a subi quelques transformations. Ce sont les Capitouls qui ont ordonné sa réalisation en 1523, au frais de la commune. Jusque-là, la source qui l’alimente arrivait à l’intérieur même de la cathédrale et était donc réservée à l’usage des chanoines. Par cette décision, le conseil municipal de Toulouse souhaitait faire profiter toute la population du précieux liquide. Il passe alors commande au sculpteur toulousain le plus réputé de l’époque : Jean Rancy. Celui-ci livre en 1549 un bassin octogonal en pierre qui reçoit l’eau de la bouche de quatre mascarons, des masques sculptés à l’apparence plutôt aigrie. Il faut attendre 1593, pour que la fontaine soit améliorée.
Ont été rajoutés un obélisque en marbre et quatre marmousets (motif ornemental représentant un personnage de petite taille, souvent accroupi dans une posture grotesque ou extravagante) totalement nus. L’air goguenards, ils sont représentés en train d’uriner dans la vasque, leur pénis à la main. Une vision choquante dont se sont plaints les riverains. Et quelques années plus tard, en 1649, la fontaine est vandalisée : l’un des quatre marmousets est volé tandis que les trois autres sont endommagés. L’histoire ne dit pas si cet acte délictueux fait écho aux récriminations puritaines, mais devant la vindicte populaire, les incontinentes figurines sont refondues par le sculpteur Pierre Affre, qui remplace les attributs tant décriés… par d’étranges animaux ressemblant à des poissons. Beaucoup plus conventionnelle, la fontaine connaît encore quelques modifications comme le changement de vasque ou le rehaussement de l’obélisque par un socle. C’est ainsi, qu’elle nous apparaît aujourd’hui.
Territoire catalan oblige, la fontaine des Neuf Jets, située à Céret, sur la place éponyme, dans les Pyrénées-Orientales, fait référence aux multiples guerres civiles qui ont émaillées la région. Les nombreuses modifications dont elle a fait l’objet en sont les témoins. Construite en 1313, sous le règne de Sanç Ier, roi de Majorque, la version originelle représentait des personnages semblant flotter dans les airs et porter sur leurs épaules neufs créatures fantastiques au corps de dragons en marbre de Céret. Mais, en 1479, Ferdinand II d’Aragon décide d’apporter un élément supplémentaire à la fontaine, pour fêter l’union des royaumes de Castille et d’Aragon. Il fait ainsi ajouter, au sommet de la sculpture, la statue d’un lion, emblème de la Castille. Et le fauve n’est pas positionné n’importe comment, les instructions étaient claires : il devait regarder en direction des deux royaumes, donc être tourné vers l’actuelle Espagne. Une décision qui ne sera pas du goût de Louis XIV qui, après avoir signé le traité des Pyrénées, qui formalise la paix entre l’Espagne et la France dans le cadre de la Guerre de Trente ans, fait retourner le lion en 1660 afin que son regard porte vers la France. Et pour enfoncer le clou, il fait apposer l’inscription suivante : « Venite Ceretens, leo factus est gallus », ce qui signifie « Venez Cérétans, le lion s’est fait coq ».
Le sens de la fontaine n’est pas le seul aspect changeant de celle-ci. En effet, tout en restant sur la place des Neuf Jets, elle a été excentrée, puis recentrée. On profite de ces réaménagements pour changer la vasque par une plus grande et octogonale. Mais les interventions sur la sculpture ne s’arrêtent pas là. En effet, en 2011, lors de la féria de la ville, le lion s’est fait… décapité par des festaïres visiblement trop alcoolisés ! Un acte de malveillance, qui a conduit la Municipalité à remplacer la tête du fauve par une réplique pour le moins approximative, que les défenseurs du patrimoine cérétan n’ont pas appréciée. Il faudra attendre 2013 pour que ce que même le maire de Céret qualifiait de « caniche sortant du toilettage » soit changé par une nouvelle mouture, réalisée par le sculpteur perpignanais Joseph Maureso. Et pour rendre tout le sens initial de l’œuvre, le nouveau lion regarde, à nouveau, vers l’Espagne…
Redécouverte dans les années 1980, la fontaine des Anglais, située à Capdenac-le-Haut, témoigne de siècles d’Histoire puisque sa construction remonte à l’Antiquité. À l’époque, le village était renommé pour être une citadelle imprenable, se trouvant juché sur un éperon rocheux aux remparts naturels. C’est pour cela qu’après la capitulation de Vercingétorix à Alésia, plus d’un millier de Gaulois seraient venus se réfugier à Capdenac. Pour tenir le siège, les résistants ont creusé un puits pour atteindre une source jaillissant ainsi dans l’enceinte de la cité : “La Fontaine Gauloise”. Un dispositif qui leur aura permis de défier les troupes de César pendant deux mois environ. Mais qui causera également leur perte. Car l’Empereur romain a fini par localiser la source et a entrepris de la tarir. Pour cela, ses soldats ont dévié toutes les veines qui alimentaient la source, qui n’a pas tardé à s’assécher. Sans eau, les Gaulois se sont rapidement rendus. Quant à l’eau déviée, elle est ressortie à une cinquantaine de mètres plus loin, à l’extérieur de la citadelle, pour former “La Fontaine de César”.
La reddition des Gaulois actée, les Romains se sont emparés de Capdenac… mais ne disposaient plus d’eau. Ils ont alors construit une nouvelle fontaine, troglodytique, baptisée “La Fontaine Romaine”, dite des Anglais. Elle est composée de deux bassins : le premier servant à approvisionner les habitants en eau potable, et un second destiné aux bétails. Mais pour disposer du précieux liquide, fallait-il encore aller le chercher, car pour accéder à la fontaine, il fallait, et il faut toujours, descendre, puis remonter les 120 marches qui la sépare de la surface de la terre.
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