Sur la place Saint-Étienne, à une trentaine de mètres de la cathédrale de Toulouse, se dresse la plus ancienne fontaine publique de la ville. Érigée en 1549, cette œuvre du sculpteur Jean Rancy fut un temps alimentée de manière bien moins pudique qu’elle ne l’est aujourd’hui !
C’est en 1523 que le conseil municipal ordonne que la fontaine du Griffoul, alors propriété des chanoines de la cathédrale Saint-Étienne, soit détournée et amenée « à la place publique, en lieu propice et ydoyne à l’usage et service tant des dits chanoines et habituez de ladite église que des manans et habitants de ladite citée ». Le tout aux frais exclusifs de la ville ! C’est ainsi que dans un souci de salubrité publique, la première fontaine publique et municipale vit le jour. La réalisation de l’œuvre est confiée à l’incontournable sculpteur local Jean Rancy qui livre le monument en 1549. Néanmoins, l’eau qui descendait de la colline de Guilhemery est de mauvaise qualité et a tendance à se tarir. De constants et vains travaux doivent être régulièrement entrepris, au grand dam du contribuable de l’époque.
Plus tard, en 1593, date à laquelle la fontaine est surmontée d’un obélisque en marbre, les ”populos” ou marmousets qui ornent toujours la structure font leur apparition. Ainsi, à l’instar du Manneken-Pis bruxellois, célèbre fontaine représentant un petit garçon nu comme un vers, en train d’uriner, l’air goguenard, dans une vasque en pierre, et devenue un symbole du sens de l’humour irrévérencieux de nos voisins, Toulouse a aussi eu pendant 56 ans quatre statues de ces innocents pisseurs en bonne place. Les incontinentes figurines en bronze étaient situées dans des niches creusées dans le piédestal. Et entre 1593 et 1649, ces marmousets que l’on peut toujours admirer sous l’obélisque de la fontaine Griffoul – la source jaillissante en occitan – se soulageaient allègrement dans le bassin public. Un bien mauvais exemple pour les garnements du quartier à qui un sermon de la maréchaussée laisserait, aujourd’hui, un goût salé.
Mais leur présence impertinente sera de courte durée. Le vol d’une des statues et les dommages constatés sur les autres, peut-être dus à du vandalisme puritain, obligent le sculpteur Pierre Affre à les refondre en 1649. Celui-ci, pour suivre les tendances de l’époque ou par souci des convenances, amende son modèle. Les bambins, toujours en tenue d’Adam, versent désormais pudiquement l’eau par la gueule d’un animal qu’ils tiennent dans leur main. Pour Karim, un jeune habitant du quartier de sept ans, si l’idée du Manneken-Pis est « quand même un peu drôle », il comprend que nos aïeux aient pu être dérangés : « Peut-être qu’ils n’aimaient pas trop voir des enfants qui pissent dans l’eau qu’ils allaient boire ».
Nicolas Belaubre
Nicolas Belaubre a fait ses premiers pas de journaliste comme critique de spectacle vivant avant d’écrire, pendant huit ans, dans la rubrique culture du magazine institutionnel ‘’à Toulouse’’. En 2016, il fait le choix de quitter la communication pour se tourner vers la presse. Après avoir été pigiste pour divers titres, il intègre l’équipe du Journal Toulousain, alors hebdomadaire de solution.
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