Toulouse pourrait-elle connaître dans les années à venir le même sort que la ville de Detroit aux États-Unis, dévastée par l’effondrement de l’industrie automobile ? Pour certains observateurs, l’énorme onde de choc provoquée par la pandémie de Covid-19 sur Airbus et l’aéronautique doit en tout cas être enfin l’occasion de se pencher sur le danger de la mono-industrie à la toulousaine.
Le meilleur atout de Toulouse peut-il devenir son point faible ? La question est loin d’être nouvelle. Cela fait près de 30 ans que des voix s’inquiètent régulièrement de la dépendance de l’économie locale à la filière aéronautique et de la fragilité inhérente à cette situation de mono-industrie. « Il y a eu par le passé des alertes comme en 2010 lorsque le volcan islandais avait cloué au sol tous les avions. Mais de manière générale, tant que ces derniers se vendent, c’est un sujet qui n’est jamais abordé en profondeur. Aujourd’hui, nous sommes rattrapés par le réel », lance Pascal Gassiot, animateur de l’antenne locale de la Fondation Copernic, think tank de critique du libéralisme.
C’est bien connu, quand Airbus tousse, c’est toute la ville qui s’enrhume. Or, avec la pandémie de Covid-19 et l’immense crise qui en découle, cette fois, la maladie est sérieuse. Dans une lettre envoyée à ses salariés le 24 avril dernier, Guillaume Faury, PDG de l’avionneur européen, annonce une perte d’un tiers de l’activité et se montre plutôt alarmant : « Notre trésorerie diminue à une vitesse sans précédent, ce qui peut menacer l’existence même de notre entreprise. La survie d’Airbus est en jeu si nous n’agissons pas maintenant. »
Si cette sortie n’était, pour certains représentants syndicaux, qu’une stratégie de communication destinée à faire pression sur les salariés pour obtenir de leur part des efforts supplémentaires, les chiffres communiqués récemment attestent tout de même d’un important trou d’air. Avec un chiffre d’affaire de 10,6 milliards d’euros au premier semestre 2020, Airbus enregistre une baisse de 15% par rapport à 2019. Surtout, ce sont les conséquences engendrées à long terme par le coronavirus sur le trafic aérien qui ont poussé Pascal Gassiot et trois autres animateurs d’organisations militantes de la ville (Pierre Bonneau d’Attac, Gilles Daré de l’Université Populaire de Toulouse et Jean-Pierre Crémoux, des Amis du Monde Diplomatique) à analyser l’ampleur des dégâts pour le secteur aéronautique et les répercussions que pourrait subir Toulouse.
« Nous sommes d’abord partis de la demande, car pour construire des avions, il faut des passagers. Nous avons interrogé plusieurs experts dans différents domaines et pour eux, le modèle de croissance du trafic aérien basé sur l’essor du low-cost et du tourisme de masse, qui vacillait déjà en raison du dérèglement climatique, est plus que jamais remis en cause », explique Pascal Gassiot. D’autant que l’avion est aussi considéré comme le facteur clé dans la circulation du virus. Impossible de le prédire avec certitude mais la possibilité existe que le nombre de passagers ne retrouve jamais les niveaux observés avant la pandémie. Quant aux perspectives optimistes d’Airbus et Boeing qui prévoyaient il y a peu 8 milliards de passagers à l’horizon 2037-2038, soit deux fois plus qu’à l’heure actuelle, elles paraissent aujourd’hui irréalistes.
Autre motif d’inquiétude pour les auteurs de l’analyse : l’organisation même d’Airbus. « L’aviation, qui était à l’origine une activité stratégique de la politique industrielle nationale, a fait l’objet comme de nombreux autres secteurs d’une financiarisation capitaliste. De fait, aujourd’hui, l’objectif d’Airbus n’est pas seulement de construire des avions mais aussi de rémunérer ses actionnaires et donc de chercher à fabriquer là ou cela coûte le moins cher. Il est même possible que ses propres sites à travers le monde soient mis en concurrence entre eux », rappelle Pascal Gassiot.
Selon ce dernier, la combinaison de ces facteurs pourraient donc entraîner une destruction massive des emplois dans la filière aéronautique régionale, à commencer par les sous-traitants de troisième rang, déjà fortement touchés. « Or, le secteur représentait, en 2018, 110 000 salariés en Haute-Garonne dont 70 000 sur le territoire de la métropole toulousaine. Sachant qu’un emploi industriel permet, selon l’Insee, de créer 1,5 emploi indirect et 3 emplois induits dans le reste de l’économie, plus de 80 % de l’emploi total de l’aire métropolitaine pourrait être concerné par la crise. Bien sûr, tout n’est pas aussi mécanique. La destruction d’un emploi industriel n’implique pas forcément la perte d’un emploi induit mais ces chiffres ne sont pas à prendre à la légère », poursuit l’animateur de la fondation Copernic.
Pour les auteurs de la note, un scenario catastrophe n’est donc pas à écarter. Comparable à celui qui s’est écrit à Détroit, ancienne capitale américaine de l’automobile, dont la population a diminué de moitié en 40 ans avec le déclin de cette industrie. Ou plus proche de chez nous, à celui des mines dans le Nord de la France ou de la sidérurgie en Lorraine. « Ce qui s’est passé dans tous ces cas, est un long effondrement du tissu social. Nous ne disons pas que c’est ce qui va arriver à Toulouse, mais il faut que ce débat soit enfin lancé. D’autant que les tentatives de diversification de l’économie sont encore loin de pouvoir compenser le poids de l’aéronautique », constate Pascal Gassiot.
Sans se projeter aussi loin dans le temps, ce sont les grands projets en cours à Toulouse qui risquent d’être impactés à court terme : la troisième ligne de métro, financée en grande partie par la taxe transport payée par les entreprises, le réaménagement du quartier Matabiau (Grand Matabiau-Quai d’Oc, ex Teso), la Tour Occitanie, les programmes immobiliers comme celui de la Grave ou encore le nouveau parc des expositions (Meett)… « Tous sont basés sur la croissance démographique exceptionnelle que connaît Toulouse depuis plusieurs années. Or, qui sait si ce modèle n’est pas devenu obsolète ? », interroge Pascal Gassiot.
Questionné sur le sujet, Jean-Luc Moudenc a déclaré qu’il était trop tôt pour savoir si tel ou tel projet devait être retardé. Pour autant, le maire de Toulouse ne cache pas son inquiétude quant à la chute des recettes fiscales liées à la crise économique en général et à la situation de l’aéronautique en particulier. « Seule la solidarité nationale permettra de passer ce cap », assure Jean-Luc Moudenc, qui a écrit au ministre de l’Economie Bruno Le Maire pour demander que l’État se porte au chevet de l’aéronautique. Les réponses n’ont pas tardé et sont plutôt rassurantes. Bruno Le Maire, comme Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, ont tous deux clairement indiqué que la filière faisait partie des secteurs identifiés par le gouvernement comme fragiles et qu’il faudra donc aider.
Mais pour les militants toulousains auteurs de la tribune, il ne faudrait pas qu’un tel sauvetage, s’il a lieu, empêche la réflexion de fond. Ainsi, ils proposent, entre autres, d’initier sans tarder des assises sur le devenir économique de Toulouse et de sa région pour élaborer une stratégie alternative au tout aéronautique.
Commentaires
Jean le 03/10/2024 à 12:44
Perso, je travaillai dans une entreprise de 400 salariés, dont 100 intérimaires, depuis le confinement, tous les intérimaires ont vu leurs contrats non renouvelés, au revoir merci et a la prochaine. Je pense que d'ici à ce que l'industrie reparte, beaucoup de monde va se retrouver sur le carreau. Renaud avait chanté putain de camion, faudrait inventer une chanson putain de virus
mike le 03/10/2024 à 13:24
Si réflexion, il y'a , ces prétendus militants n'ont aucune légitimité à la mener. Les théoriciens hors sol, même locaux devraient proposer des pistes sur l 'urgence. On sauve d'abord le malade....et une fois cea fait, on s'occupera de s'organiser pour qu'il soit moins fragile.