Les entreprises d’Occitanie commençaient tout juste à entrevoir le bout du tunnel après la période difficile due à la pandémie de Covid-19. Mais le conflit qui oppose la Russie et l’Ukraine les replonge dans l’incertitude totale, au point que Samuel Cette, président de la CPME Occitanie, craint “une forme récession”. Il fait le point sur les conséquences de cette guerre pour les entreprises de la région.
Samuel Cette, dans quelle situation se trouvent les entreprises depuis le début du conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine?
Les entreprises ont déjà été fortement et durablement impactées par l’épidémie de Covid-19, et ce conflit vient s’ajouter à l’incertitude ambiante. A ce jour, en France, nous avons identifié 500 entreprises directement concernées par les répercussions de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, qui sont susceptibles de disparaître. La hausse d’un grand nombre de matières premières et l’interruption probable de nombreux services vont rendre le développement économique plus hypothétique. Tant pour les PME que pour les grandes sociétés.
Quelles vont être les premières conséquences concrètes de cette guerre pour les PME d’Occitanie?
Les entreprises qui servaient directement des marchés situés en Russie essentiellement, et en Ukraine plus rarement, vont enregistrer une baisse drastique de leur chiffre d’affaires, voire une cessation totale de leur activité. Les sociétés se trouvant dans cette situation vont être condamnées à très court terme. En Occitanie, on estime à une trentaine le nombre d’entreprises concernées. Mais il est difficile d’évaluer aujourd’hui l’ampleur des dégâts. Nous pensions, au début du conflit, qu’il ne durerait que quelques jours, puis il s’est généralisé, et il semblerait que nous soyons partis pour quelques mois, voire quelques années.
“En Occitanie, on estime à une trentaine le nombre d’entreprises concernées”
Quelles sont les entreprises qui vont être les plus touchées par cette nouvelle déstabilisation économique ?
Il s’agit principalement d’entreprises qui travaillent avec l’un des deux pays, la Russie ou l’Ukraine. Notamment, celles qui exportent (30% des entreprises) ou importent (70%) des produits dans cette région du monde. Je pense par exemple aux établissements du secteur technologique, biotechnologique ou de l’agroalimentaire.
De plus, si toute transaction est interdite, et que l’on abandonne Swift (système permettant d’effectuer des paiements internationaux rapides en toute sécurité, NDLR) comme système d’échange international financier, nos petites et moyennes entreprises n’auront pas la capacité de se retourner et de s’adapter. Sans compter qu’au sortir de la crise sanitaire, ces PME sont généralement sous-capitalisées et donc très fragilisées. Elles négocient déjà des rééchelonnements de leur Prêt garanti par l’État (PGE) sur huit à dix ans.
Certaines entreprises vont également être impactées par ce conflit de manière indirecte. En quels termes?
Effectivement, une société de transport, par exemple, ne travaillant pas directement avec la Russie ou l’Ukraine va pourtant se trouver concernée au travers du prix du carburant. Aujourd’hui, elle n’est pas considérée en extrême danger, mais elle va l’être, inévitablement. Ses marges étant relativement ténues, elle va devoir rogner ou travailler à perte, pendant que ses coûts de production vont s’envoler. Ainsi, les entreprises qui subiront un impact indirect de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, et qui seront dans l’incapacité d’absorber ces pertes, pourront être dans les mêmes difficultés que celles touchées directement, et ce dans quelques semaines. Et elles seront nombreuses car beaucoup de secteurs d’activité sont dépendants du carburant, de l’électricité ou du gaz. De plus, nous craignons un effet domino : si une entreprise de transport est impactée, toutes celles qui en sont clientes le seront aussi par l’augmentation des prestations. Et ainsi de suite.
Les interactions du tissu économique sont tellement importantes que nos estimations sont alarmantes. A court terme, les premières données disponibles, qui ne sont pas consolidées, font état de 30 à 40% d’entreprises menacées. D’ailleurs, nos différents scenarii pourraient conduire à une forme de récession : ralentissement général de l’économie, baisse de la consommation, inquiétude généralisée. Ce qui attenterait à l’ensemble des efforts consentis par le gouvernement pour la relance “post-Covid”, comme le PGE, les reports de charges Urssaf…
“Nous sommes dans une situation d’attente, inquiétante”
A l’inverse, certains secteurs d’activité pourraient-ils profiter de ce conflit?
Bien sûr, comme dans toute situation malheureuse. Dès qu’une modification des flux traditionnels s’opère, une recomposition des besoins a lieu et les attentes de la clientèle évoluent, comme cela a été le cas pendant la crise sanitaire. Par exemple, des entreprises d’Occitanie produisant des matières jusque là importées de Russie pourront connaître un regain d’activité. Mais tout est relatif, car leur coût de production pourrait augmenter parallèlement. Ainsi, nous ne savons pas si l’équation sera génératrice de gains supplémentaires au final. Une situation dans laquelle pourraient se trouver plusieurs entreprises de l’agroalimentaire par exemple. Il n’existera donc pas forcément d’Eldorado… Excepté pour celles qui pourront fournir 100% d’une production qui ne serait plus disponible ailleurs.
Au-delà des conséquences inhérentes à la guerre, craignez-vous les ripostes russes aux sanctions de la communauté internationale?
Les réactions économiques russes ne devraient pas avoir beaucoup d’impact sur les PME d’Occitanie. En revanche, elles en auront sur la consommation de la population, notamment énergétique. Nous prévoyons une hausse des coûts, et donc une baisse du pouvoir d’achat, qui va imprimer une réduction de la consommation. Ce qui aura, au final, un impact sur les entreprises. Ainsi, les possibles ripostes russes auront des conséquences indirectes sur l’économie française toute entière. Nous sommes dans une situation d’attente, inquiétante.
Quels seraient les leviers qui permettraient de protéger efficacement les PME ?
Ils sont à l’étude en ce moment même. Nous travaillons à l’élaboration d’un plan de résilience, en partenariat avec le gouvernement, qui prendra en compte les problématiques d’entreprises qui travaillaient déjà (clients ou fournisseurs) avec l’Ukraine ou la Russie, mais aussi de celles qui seront impactées indirectement. Celles-ci étant en danger dans les jours qui viennent. Il considèrera également le cas d’entreprises qui commençaient tout juste à relancer leur activité aux sortir de la crise sanitaire, et qui subissent là une deuxième vague.
Ainsi, pour répondre aux difficultés des entreprises à court terme, des reports d’échéances de divers remboursements, des aides directes à la trésorerie, des subventions au développement et au repositionnement de marchés sont envisagés. Ces mesures feront l’objet de réajustements en fonction de l’évolution du conflit, mais aussi de l’issue de l’élection présidentielle. Et la CPME restera vigilante concernant ce dernier rendez-vous car, durant la campagne, les promesses risquent de se succéder. Encore faudra-t-il qu’elles soient tenues…
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