À l’initiative d’associations locales et de l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae), un projet expérimental de sécurité sociale de l’alimentation, baptisé Caissalim, devrait voir le jour d’ici janvier 2025 à Toulouse. Son objectif ? Que tout le monde ait accès à une alimentation saine et de qualité, quels que soient ses revenus.
Bien manger, un droit pour tous ! C’est le leitmotiv des défenseurs de la sécurité sociale de l’alimentation. Le principe est basé sur celui de la sécurité sociale traditionnelle qui garantit, grâce à un système de cotisation, des soins pour tous. Lancée par Ingénieurs sans Frontières Agrista, aux côtés de sept autres organisations en 2017, cette proposition a fait son chemin et fédère aujourd’hui plus de 40 organisations (des associations, des syndicats, des mutuelles…) en France. De réflexion sociétale et théorique il y a près de 10 ans, elle arrive maintenant au stade de projet.
Le collectif “Pour une Sécurité sociale de l’alimentation”, créé en 2019, évoque ainsi une nouvelle branche du régime général de la sécurité sociale, qui permettrait, grâce à des cotisations sociales, d’allouer à toute personne résidant en France un budget de 150€ par mois. Grâce à une carte vitale de l’alimentation, cette allocation serait fléchée, exclusivement, vers une alimentation dite conventionnée, qui devra répondre à « des critères de production, de transformation et de distribution prenant en compte les enjeux sociaux, environnementaux, climatiques et économiques ». Ce conventionnement serait « décidé par les citoyens, de manière démocratique », explique le collectif.
Mais avant d’en arriver à ce projet final, il convient d’en éprouver le fonctionnement. Pour cela, sous l’action de plusieurs associations, des caisses s’inspirant de la sécurité sociale de l’alimentation ont été créées localement. A Toulouse, il en existe quatre, fédérées au sein du projet Caissalim : la Caisse d’alimentation Nord (regroupant les quartiers Izards, Trois Cocus, La Vache, Lalande et Borderouge), la Caisse d’alimentation des Pradettes, Le Noyau (Pont des Demoiselles, Saint-Exupéry, Montaudran, Empalot, Saouzelong et Rangueil), et Calim’Potes (Ramonville et Castanet).
Constitutées d’habitants de ces territoires, elles travaillent, depuis 2022, à la mise en place de ce système démocratique, sous l’égide de l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae), et plus particulièrement de Sarah Cohen, ingénieure de recherche au laboratoire AGIR de l’Inrae. « En tant qu’agronome, c’est pour moi une réponse pertinente et systémique à de nombreux enjeux alimentaires que sont le dynamisme des filières agricoles locales, la rémunération juste des producteurs, la protection de l’environnement, le droit à une alimentation choisie et de qualité… », précise-t-elle. Coordinatrice du projet Caissalim à Toulouse, elle guide les membres-expérimentateurs dans l’élaboration des process de fonctionnement de la caisse.
Dans la caisse Est, baptisée “Le Noyau”, Fatoumata Diarraye et Raynald Coudair font partie de la vingtaine de citoyens volontaires pour expérimenter le projet de sécurité sociale de l’alimentation. Pour eux, il s’agit-là de s’investir dans la vie locale de leur quartier, et de permettre au plus grand nombre de bénéficier d’une nourriture saine et de qualité grâce à la solidarité : « Au-delà de manger à sa faim, c’est important de bien manger, parce que cela a un impact sur notre santé », affirme Fatoumata Diarraye. « Je voulais contribuer à une action qui a du sens et qui place la solidarité au centre de son organisation car c’est une valeur primordiale qui se perd aujourd’hui », témoigne Raynald Coudair. Mais pour cela, après avoir été formé aux différents enjeux alimentaires, il doivent concevoir le modèle de leur caisse, chacune étant autonome.
Ils ont d’abord défini le mode démocratique qui régira les décisions de la caisse. Ils ont ensuite décidé que chaque membre verserait une contribution volontaire – le modèle de la cotisation ne pouvant être mis en place qu’à l’échelle nationale – pour ensuite bénéficier d’une allocation. Et pour l’heure, ils sont en train de déterminer une liste de produits qui répondent aux critères de conventionnement : « Nous avons identifié des aliments en fonction de nos besoins, de leur coût qui doit rester raisonnable, de leur mode de production qui doit garantir un produit sain et de qualité, et de leur distribution qui doit être réalisé dans un commerce de proximité… Mais aussi en fonction de nos envies, parce que manger, c’est aussi se faire plaisir ! » résume Raynald Coudair. On retrouve ainsi dans leur liste, des légumes, des fruits locaux ou exotiques, des huiles (arachide, noix et olive), du riz, des légumineuses… Et d’autres sont encore en pourparler.
Si la carte vitale de l’alimentation ne pourra être envisageable que lorsque le projet sera déployé au niveau national, chaque caisse détermine à ce jour la façon dont les membres peuvent dépenser leur allocation. Dans le projet toulousain Caissalim, c’est l’option d’une monnaie locale qui serait retenue, à l’image du Sol Violette. Quant aux magasins d’alimentation, producteurs, restaurants, commerces de proximité… remplissant les critères de conventionnement et prêts à accepter ce mode de paiement, les membres de la caisse Est sont en train de les répertorier pour ensuite contractualiser un partenariat. « Tout devrait être opérationnel d’ici janvier 2025 », indique Raynald Coudair. Il n’y aura alors plus qu’à éprouver le système.
S’il est viable, les quatre caisses toulousaines fusionneront et mutualiseront leurs outils et démarches, « sous une forme mutualiste, ou peut-être d’une société coopérative » poursuit Sarah Cohen. À terme, et c’est le vœu de l’agronome, le dispositif pourrait être étendu à toute la France. Pour ce faire, les porteurs de projets « mutualisent les expériences au niveau du Collectif national qui échange avec des députés, majoritairement de gauche, pour porter un texte à l’Assemblée nationale et obtenir le vote d’un droit à l’expérimentation ». Mais si certains parlementaires semblent ouverts à la discussion, et si le Conseil départemental de Haute-Garonne soutient l’idée-même de la démocratie alimentaire, une sécurité sociale de l’alimentation ne fait pas l’unanimité. En effet, le 13 octobre dernier, le groupe parlementaire LFI-Nupes déposait à l’Assemblée nationale un amendement au Projet de loi de finances, pour « la remise d’un rapport sur l’opportunité de la mise en place d’un système de sécurité sociale de l’alimentation » et donc envisager la mise en place d’un tel dispositif. Le texte a été rejeté en première lecture cinq jours plus tard…
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