Insoumise aux seules lois du best-seller, la 4e librairie indépendante de France imprime son style en ville depuis 1975. Alors que l’emblématique Christian Thorel s’apprête à passer le relais, le lieu continuera de s’appuyer sur les valeurs qui ont fondé sa réputation. – Lucile de La Reberdiere
®Franck AlixJean-Paul Archie, fondateur d’Ombres Blanches, a transmis les clés de sa boutique en 1979. Quatre ans après sa création, la librairie, qui doit son nom au titre d’un film surréaliste de 1928, est ainsi revenu à Christian Thorel et à sa femme Martine, eux aussi amoureux de cinéma. À l’époque, le 48 rue Gambetta s’étend sur 80 mètres carrés. Avec leur ami Jérôme Lindon, fondateur des éditions de Minuit, la bataille est rude pour l’obtention de la loi sur le prix unique du livre et pour tenter de sauver les ‘’petites’’ librairies et les éditeurs indépendants.
Durant 40 ans, le lieu résiste, rachète les pas de porte du quartier et gagne du terrain sur la crise du livre. Pendant que recule le goût français pour la lecture, que les géants du e-commerce avancent et que de grands noms disparaissent au profit de machines à expresso, Ombres Blanches enracine la culture dans le béton du centre-ville. Le couple Thorel savoure et transmet peu à peu le flambeau.
Dans les bureaux, Emmanuelle Sicard et Aliénor Mauvignier ont repris la direction générale de l’entreprise ainsi que la majorité de son capital. Les deux libraires du magasin prennent discrètement le relais d’une aventure encore largement incarnée par la figure Thorel, qui confie : « J’ai passé trente ans de ma vie, jusqu’en 2010, à travailler sept jours sur sept pour cette librairie. » Pour les deux collaboratrices, le processus de transition s’amorce dès 2010 justement, fidèle à la vision de leur prédécesseur : où le ‘’nous’’ passe avant le ‘’je’’.
Quand il aborde cette nomination, Christian Thorel assure que « rien n’a changé ». Ce qui importe ce sont nos valeurs et elles restent les mêmes », poursuit celui qui écrivait, à l’occasion des 40 ans de la librairie : « Les vertus de la lecture, c’est l’espoir d’être ensemble, autour d’une cause. » Aujourd’hui, Ombres Blanches étale, sur 2 000 mètres carrés, ses 140 000 références, sélectionnées à la main par une équipe d’experts, qui ont souvent traversé la France pour décrocher le job de leur rêve.
Ce sens aigu de l’exigence, signature de la Maison, relie les 50 employés, tous passés par le sacro-saint entretien d’embauche de quatre heures. Un rôle de passeur, désormais concurrencé par la vente à distance. « Avec la numérisation du livre, on nous parle de la fin de notre métier depuis les années 1990. Mais elle n’est pas advenue car notre travail, c’est de faire en sorte que vous trouviez ce que vous ne cherchez pas », promet Christian Thorel.
Celui qui resta président d’Ombres Blanches jusqu’en avril 2019 décrit sa librairie comme un espace fusionnel au cœur de la ville, où se croisent lecteurs, libraires, auteurs, visiteurs, travailleurs et inactifs. « Être libraire indépendant c’est avoir le souci de la cité. La librairie est le lieu de l’universalité », poursuit-il. Hors les murs aussi, elle se fond dans la ville, au travers d’événements ouverts, dont, là encore, les publics sont la raison d’être.
Humain, non humain. Après le succès de sa première édition, L’histoire à venir… revient. Le festival, co-créé par Ombres Blanches, rassemble 85 événements pour interroger les relations que l’humanité entretient avec les animaux, les dieux, les superhéros, les machines ou même la vie extra-terrestre. Entrée libre mais soutien nécessaire. Du 17 au 20 mai. www.ombres-blanches.fr
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