PRÉCURSEURS – Depuis 2015, cette PME basée à Castanet fonctionne sur le modèle de l’entreprise libérée. Prise de décisions en commun, autonomie des employés et souplesse dans l’organisation du travail ont permis à cette PME de pacifier les relations internes.
Franck Alix /JT17 heures. La fin de la journée s’amorce chez Erah, entreprise spécialisée dans la pose de parquets et les aménagements intérieurs et extérieurs. En temps normal, les salariés et les deux patrons s’apprêteraient à regagner leurs domiciles. Mais ce soir-là, une réunion importante est à l’ordre du jour. Un poste se libère suite au départ d’une employée. Alors que dans une entreprise classique, les gérants décideraient seuls de la suite à donner, ici, toute l’équipe va discuter de la façon de réorganiser le poste.
On installe des chaises en cercle dans la salle d’accueil attenante à l’entrepôt. La discussion peut commencer. « J’aimerais que nous en profitions pour voir ce qui fonctionnait ou pas. Et organiser le poste différemment selon vos besoins », lance le patron Frédéric Sanchez. Les propositions fusent. « On pourrait gérer nous-mêmes le planning sur trois semaines, avant, pendant et après le chantier » suggère Félix, un technicien. La réunion se poursuit ainsi pendant une heure afin d’imaginer comment éviter les problèmes de communication et les pertes de temps. Finalement, une solution émerge, Cathy Sanchez, propose de la mettre en place lors d’un chantier test.
Ce type de réunion n’est pas rare chez Erah. Depuis 2015, la PME fonctionne en ‘’entreprise libérée‘’. Un concept développé par Isaac Getz, professeur à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP Europe), où l’autonomie des collaborateurs est recherchée et où la hiérarchie a vocation à disparaître. « L’entreprise est un système féodal où on infantilise le salarié. Nous, nous pensons que nous avons des adultes en face de nous » explique Frédéric Sanchez.
Chez Erah, toutes les décisions sont prises en commun. Les employés se chargent de leur organisation, du choix de leur matériel… « On planifie nos journées comme on le souhaite, comme si nous étions des travailleurs indépendants », explique Gauthier l’un des salariés.Une marge de manœuvre qui va jusqu’à la validation des recrutements ou même la fixation des salaires. « Nous avons décidé que tout le monde touche 2000 euros, y compris le patron, on recherche toujours l’équité. On a tous les mêmes objectifs et le même pouvoir » poursuit-il. Au-delà de 5 % de bénéfices, ces derniers sont redistribués à tous. Pas question pour autant d’en demander toujours plus. « Nous ne rechignons pas à faire des heures supplémentaires et eux les payent bien volontiers. Au début, je faisais beaucoup d’heures, mais les patrons m’ont freiné », s’amuse Gauthier.
Un fonctionnement qui demande aux gérants de lâcher du lest. « Nous jugeons parfois que certaines décisions ne sont pas les meilleures, mais nous les laissons les prendre », explique Cathy Sanchez. « C’est une question de cohérence, on ne peut pas partager le pouvoir que lorsque cela nous arrange. La seule limite est de ne pas mettre en péril l’entreprise ».
Les deux gérants y trouvent leur compte. Erah réalise cette année son meilleur chiffre d’affaires depuis 2010. En termes d’efficacité : « nos techniciens sont réputés pour leur sérieux et leur prise d’initiative » s’enthousiasme Cathy Sanchez. Mais aussi en termes d’ambiance. « Entre eux, ils prennent les bonnes décisions. Si c’est moi qui choisit, cela ouvre la porte aux conflits », explique Frédéric Sanchez, qui sait de quoi il parle. Entre 2000 et 2015, Erah avait un fonctionnement classique. « Nous sommes montés jusqu’à un effectif de 30 salariés. Nous avons éprouvé toutes les difficultés économiques et les conflits par lesquels peuvent passer une boîte » explique-t-il. « Nous avions un délégué du personnel. Nous avons eu affaire à un salarié très procédurier, le dialogue s’est rompu. Un manager nous a conseillé de contrôler les horaires, d’installer des GPS sur les camions pour surveiller leur utilisation, on ne s’y retrouvait pas du tout, on a failli tout arrêter ». Les relations se tendent jusqu’à finir aux Prud’hommes et par une vague de ruptures conventionnelles. Un déclencheur pour se muer en entreprise libérée.
« Je ne reviendrai pour rien au monde à un fonctionnement classique » lance Cathy Sanchez, en montrant fièrement le dernier outil mis en place sur les fiches horaires et inspiré par l’entreprise toulousaine Web-atrio, elle aussi ‘’libérée’’. Sur chaque feuille s’alignent trois smileys, un heureux, un neutre, un triste. « Si un salarié entoure le triste, nous l’appelons pour savoir ce qui ne va pas ».
Prochainement, Erah, qui vient de passer le cap des 11 salariés, devra désigner un délégué du personnel. « Comme pour tout, nous allons nous conformer au code du travail. Cela ne nous dérangera pas, mais ce ne sera pas très utile » glisse Cathy Sanchez.
Commentaires