Ricochet. L’ambiance est toute particulière en ce lundi. La tuerie à Charlie Hebdo et les rassemblements qui ont suivi semblent avoir posé un voile sur l’actualité. Aujourd’hui Nadia Martinez, Gérard Onesta et Marlène Coulomb-Gully sont au rendez-vous et ne s’étonnent même pas qu’on leur offre un sujet unique sur lequel réagir. Finalement à coup d’humour et de convictions et ils ont philosophé sur l’amour et l’humanité.
Par Aurélie Renne et Coralie Bombail
« C’est tellement fort ce qu’il s’est passé. Quand j’ai entendu douze morts c’est bête mais je ne pouvais pas imaginer que Cabu en ferait partie… » raconte Gérard Onesta, expliquant qu’il s’est empressé de se bricoler un badge « Je suis Charlie » « sans savoir que ce même visuel allait faire le tour du monde ». Il relate un état de sidération duquel il n’est pas encore sorti. Une certitude cependant : « voir rassemblés police, politiques, représentants de chaque religion, c’est le plus bel hommage à la caricature qui soit ! » En plus, dit-il « Dieu a de l’humour ! Il s’est manifesté », en référence à ce pigeon blagueur qui a choisi l’épaule de Hollande comme cible. Pourtant pour Gérard Onesta, il faut maintenant se demander combien de temps cette unité va durer : « 62 millions de personnes n’ont pas défilé, comment vont-ils réagir ? » Marlène a elle un point de vue qui lui est propre : « Tout le monde n’était pas dans la rue avec la même idée…Au-delà de ça, ce qui m’a frappé c’est ce paradoxe : l’équipe de Charlie Hebdo aurait conchié tous ces gens ! »Lance-t-elle alors même qu’elle relate avoir pleuré toutes les larmes de son corps et s’être réfugiée au Capitole pour « ne plus être seule »… Nadia qui était restée silencieuse jusqu’alors se lance évoquant AZF et Merah, « comment ne pas y repenser ? » Justement, explique Marlène « on peut comprendre l’amertume de la communauté juive car la mobilisation n’avait pas atteint ce niveau à ce moment là» Pour elle, l’explication c’est la loi de la proximité…
Nadia : Mais il faut dire aussi qu’on a attaqué une institution ! On les aimait bien !
Marlène : Personne ne lisait Charlie Hebdo ! Les gens se souviennent peut-être des caricatures de Mahomet, c’est tout !
Gérard : Oui mais là, on touche à l’intime, ils faisaient partie des gens que l’on aurait tutoyé directement sans les connaître… Que vaut une société qui assassine ses clowns ? On a touché au rire…
Nadia : Il y a eu Zemmour, Dieudonné, des choses nous ont amenés à ça… Je suis d’origine marocaine et j’ai peur des amalgames, il faut revenir à la base. On est comme des enfants qui demandent à revenir à l’amour.
Marlène, fidèle à l’esprit Charlie Hebdo, ricane : « Les frères Kouachi et Coulibany », ça les aurait fait marrer, on dirait un gag ! Et il faut continuer à rire, car tout ça fait peur…
Gérard : les politiques qui ont défilé, par contre, sont bien contents de ce qui s’est passé, et c’est bien notre société qui a fait le lit de tout ça. Tant que les jeunes n’auront pas de projet de vie, ils auront des projets de mort.
Marlène : il faut du temps pour analyser tout ça… Les politiques de la ville, de l’éducation et du fonctionnement des prisons sont à revoir ainsi que l’analyse du fait religieux.
Nadia : Qu’est ce qui nous aurait fait basculer ?
Marlène : La déshérence globale d’une partie de la politique
Nadia : tous ces jeunes qui n’ont plus de repères…
Marlène : il ne faut pas non plus dire que c’était mieux avant…
Gérard : C’est clair que le 19ème siècle a aussi eu ses horreurs !
Le repas était déjà bien entamé, mais rien n’arrêtait nos invités du jour. Pas chiffonnés pour un sou qu’on les laisse tailler la bavette sur un sujet unique, ils y sont allés franco. Et tous les recoins du dossier ont été décortiqués. Ainsi, le problème auquel ont dû faire face certains enseignants lors de la minute de silence : « Mon frère m’a dit que c’était « ricanant » » explique Gérard. Et Nadia d’ajouter : « au rassemblement de samedi j’ai croisé des jeunes qui disaient « tant mieux c’est bien fait ». Gérard est gêné de son côté par « l’unité émotionnelle imposée : il ne faut pas s’interdire de parfaire le modèle républicain. La démocratie est plurielle, si elle n’est pas plurielle elle n’est plus rien ». La conscience s’éveille autour de la table sur le fait que la classe politique est ravie qu’il n’y ait pas débat… Subitement, un ange passe, l’espace d’une seconde nos invités oublient presque la gravité des événements passés. Mais c’était pour mieux rebondir sur le thème de la censure : Gérard lance « qu’il ne pourrait se taire éternellement ». Nadia lui demande alors s’il parlerait au péril de sa vie. Nouveau silence. « Par coquetterie intellectuelle ? Non je ne crois pas que je serais prêt à regarder tous les matins s’il y a une bombe sous ma voiture » Marlène rebondit : « l’autocensure est un vrai problème, justement un problème que n’avait pas Charlie Hebdo ». Il faut dire qu’en France le blasphème n’est pas répréhensible juridiquement, « on jouit d’une liberté exceptionnelle ». Gérard lance un pavé dans la mare : « En tout cas vivement mercredi que Charlie conchie tout ça ! » Hilarité générale autour de la table. « Ils étaient féroces c’est vrai, mais pas méchants, il y a une bienveillance à travers leurs outrances » analyse Gérard. Le débat devient philosophique et nos convives s’entendent sur le fait que « le client humain avait besoin d’humanité ». Pourquoi alors, de ce « gisement incroyable on n’arrive pas à sortir quelque chose de législatif ? » s’interroge l’homme politique. Il évoque alors avoir rencontré Cabu il y a quelques années pour le logo de EELV : « une heure hors du temps à dessiner des Mickeys sur la table de la cuisine… » Pour clore le débat, une question encore : que va vraiment devenir Charlie Hebdo ? D’après Nadia « il faudra du temps mais il y aura d’autres plumes et d’autres crayons… Charlie restera Charlie ». Un bémol cependant à toutes ces réactions : « on a occulté toute l’actualité… il y a notamment 2000 morts au Nigeria quasi simultanément… d’autres ont annoncé leur démission profitant de la cacophonie générale, l’effet agenda est terrible… » détaille Marlène faisant notamment référence au massacre de Boko Haram entre le 6 et le 8 janvier et à la démission de Thierry Lepaon de la CGT. Finalement c’est le moment de faire paraître un numéro spécial « Les Unes auxquelles vous avez échappé ! » lance Gérard. Ce sera le mot de la fin de ce débat très particulier, entre émotion et analyses pertinentes. Eux non plus, on ne les empêchera pas de parler.
MINI-BIOS
Gérard Onesta : architecte de formation, Gérard Onesta est vice-président EELV du conseil régional de Midi-Pyrénées. Adhérent ‘Vert’’ depuis 1986, il a cofondé le mouvement des jeunes écologistes européens en 1988. Vice-président du Parlement européen pendant 10 ans, il était la tête de liste écologiste aux élections régionales en 2010. Il est depuis vice-président en charge des relations internationales et des affaires européennes.
Nadia Martinez : comédienne humoriste, cette toulousaine joue actuellement son deuxième one woman show « N’importe nawak ». En 2013, elle est lauréate des sélections toulousaines des Duels du rire. En mars prochain, elle participera au festival Festi’femme, à Marseille. Puis, elle se produira à la Salle Nougaro, le 14 mars. Son premier single intitulé « Je suis une fille bien ordinaire » (en réponse à Robert Charlebois), va sortir dans les prochains jours.
Marlène Coulomb-Gully : diplômée de l’école normale supérieure en Lettres modernes, Marlène Coulomb-Gully se réoriente vers la sociologie politique et se spécialise lors de sa thèse, en communication politique. Aujourd’hui, elle enseigne la communication aux étudiants de l’université Jean-Jaurès. Spécialiste également des questions du genre, elle a été nommée en 2013 au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
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