INCERTITUDES. Le 12 avril, le Conseil départemental a décidé de ne plus financer les hébergements en hôtel pour les mères isolées et les mineurs étrangers. Plus de 800 personnes sont concernées. Une décision lourde de conséquences.
Par Anne Mignard
Depuis plusieurs semaines déjà le compte à rebours est lancé…Le Conseil départemental a décidé de ne plus financer des hôtels pour les enfants comme il le faisait jusqu’à maintenant. Les assistantes sociales et les éducateurs sont donc à pied d’œuvre pour gagner quelques semaines voire quelques jours avant que les chambres ne soient plus payées. Ils sont aujourd’hui plus de 200 garçons âgés de 16 à 18 ans, étrangers, sans famille ni parent, hébergés dans des hôtels à défaut d’être placés en maison à caractère social. Tous viennent de loin : du Mali, du Sénégal, de Syrie ou encore du Pakistan. Ils ont traversé des pays entiers dans la clandestinité et même parfois la Méditerranée. Mineurs, ils ont été pris en charge par les services du Conseil départemental conformément à la loi sur la protection de l’enfance. Depuis qu’il a appris la nouvelle, Wasseem* est très angoissé. Ce pakistanais de 16 ans est arrivé à Toulouse en septembre dernier. Il loge à l’hôtel près de la gare et prend un repas par jour au Flunch en centre-ville. « C’est déjà très compliqué de s’habiller et même de trouver une brosse à dents ou du savon pour se laver. Mais si demain je suis à la rue, que vais-je devenir ? Je ne peux pas travailler, je n’ai pas 18 ans. Je voudrais être peintre en bâtiment, j’aimerais apprendre le métier, mais l’accès aux formations est impossible ». Audrey Lassalle*, assistante sociale à l’aide sociale à l’enfance, confirme « la majorité de ces adolescents hébergés ont un projet. S’ils sont en France, c’est pour être formés, travailler, gagner de l’argent et payer des impôts. Si demain, ils sont à la rue, il ne leur restera que le vol et les trafics pour survivre ».
« Ceux qui sont dans les hôtels y resteront le temps de trouver une meilleure solution »
Des mamans sont aussi concernées par la suppression des budgets alloués aux hôtels. Femmes battues ou au parcours difficile, elles sont aujourd’hui 450 avec leur enfant de moins trois ans à habiter les hôtels payés par la collectivité. Selon Audrey Lassalle, « d’ici quelques jours, certaines n’auront pas d’autres choix que de laisser leurs bébés à la pouponnière près d’Aucamville et de prendre rendez-vous tous les jours pour passer un moment avec leur enfant ». Francine n’en dort plus la nuit. Venue d’Afrique, elle était en master dans une université toulousaine quand elle est tombée enceinte. Seule, sans famille ni ressource, elle est aujourd’hui logée dans un “appart hôtel” dans le quartier de l’Hers. Chaque semaine, elle traverse la ville pour aller chercher couches, petits pots et paniers-repas aux Restos du cœur. « Si on m’expulse de l’hôtel, je ne serai pas où aller. Mais pas question qu’on m’enlève mon fils. Les policiers ne le trouveront jamais ».
800 personnes sont aujourd’hui hébergées en hôtels en Haute-Garonne pour un montant global de 5 millions d’euros par an. « Ça ne peut plus durer », affirme Arnaud Simion, Vice-président du département en charge de l’action sociale enfance et Jeunesse. « La situation est catastrophique. Les lieux d’accueils pour les mineurs et leurs mamans sont saturés à 130% en Haute-Garonne. C’est pour cela que la majorité précédente a eu recours aux hôtels. Mais ce n’est pas la bonne solution. Ces prises en charge sont précaires, les travailleurs sociaux ne peuvent pas faire correctement leur travail. Maintenant c’est terminé ! Ceux qui sont dans les hôtels y resteront le temps de trouver une meilleure solution. Quant aux nouveaux arrivants, ils seront mis à l’abri autrement. Une maman et ses enfants pourront par exemple être placés dans une famille d’accueil ». Il promet : « Si c’est un dossier urgent, il y aura une solution. Personne ne dormira dehors ». Parallèlement, l’élu souligne qu’un nouveau plan de Protection de l’enfance a été voté le 12 avril dernier. Il prévoit la création de 430 places d’ici 2018 et de 40 dès cette année.
« Si demain, ils sont à la rue, il ne leur restera que le vol et les trafics pour survivre »
Audrey Lassalle partage le constat de l’élu. « Avec nos effectifs, on ne peut effectivement pas suivre toutes ces personnes réparties aux quatre coins de l’agglomération dans des hôtels. Comment les aider quand on ne peut s’entretenir avec eux qu’une fois par semaine au téléphone ? Des solutions existent : de nombreuses femmes avec enfants pourraient être logées dans des appartements. La caution pourrait être prise en charge par des associations et réglée petit à petit pour leur donner leur autonomie. Cela se faisait avant…Concernant les mineurs étrangers, ils sont seulement neuf éducateurs qui suivent aujourd’hui plus de 200 adolescents. Faute de temps, ils tentent de vérifier qu’ils ne sont pas en danger à défaut de pouvoir les aider à se construire un avenir. Si on veut donner un avenir à ces jeunes, il va falloir étoffer les effectifs ». Mais elle reste sceptique quant « aux promesses des élus » concernant l’ouverture de 430 places en 2018 : « Aujourd’hui, 450 mères avec leurs enfants sont logées en appart-hôtel et plus de 200 adolescents en chambre. On aurait besoin de plus de 600 places dès maintenant ».
Quant aux solutions d’urgence, la prise en charge des personnes s’avère parfois compliquée : « Un adolescent de 16 ans d’origine tunisienne s’est présenté lundi pour être pris en charge, les services d’accueil à l’enfance lui ont expliqué qu’ils n’avaient pas de place pour lui et qu’il devait s’en aller. On a appris après que quatre autres adolescents s’étaient présentés ce même jour et qu’ils avaient eux aussi été éconduits ». Audrey Lassalle craint le pire. « Aujourd’hui ce sont des jeunes garçons qu’on laisse à la rue, mais en juin, avec l’Euro, le prix des nuits d’hôtel va exploser ». Lors des quatre rencontres les 13, 17, 20 et 26 juin, les augmentations devraient être de plus de 100%. « C’est sûr, le Conseil départemental ne voudra pas s’aligner sur ces nouveaux tarifs. Et là que ferons-nous ? » Arnaud Simion assure de son côté que les prix ont été préalablement négociés, ce qu’on confirme à l’hôtel Bristol où les mineurs déjà présents doivent rester jusqu’en septembre. Mais que se passera-t-il après ? Le problème de fond reste intact pour ces mineurs isolés et ces mères de famille.
*les noms et prénoms ont été changés
Commentaires