Depuis plusieurs mois, les forces de l’ordre disposent d’une application, GendNote, leur permettant de saisir numériquement les informations collectées durant leurs enquêtes. Inquiètes de possibles dérives liées à des fichages abusifs, deux associations assistées par le cabinet d’avocat toulousain Altij, ont déposé un recours devant le Conseil d’État.
GendNote, le fichage de la gendarmerie qui pose problème avec les données personnelles CC by Rog01Depuis le 20 février dernier, les gendarmes ont troqué leur traditionnel calepin pour une application numérique leur permettant de consigner les informations et remarques collectées au cours de leurs enquêtes. Cet outil, baptisé GendNote, est censé simplifier le travail des forces de l’ordre sur le terrain et faciliter la transmission d’informations. Toutefois, ses détracteurs s’inquiètent des trop faibles garanties apportées quant à l’utilisation, la protection et le chiffrage des données recueillies. L’ONG Internet Society, engagée dans la défense des droits et libertés des internautes, et l’association Homosexualités et socialisme ont ainsi déposé, ce mardi 2 juin, un recours au Conseil d’État, par le biais du cabinet d’avocat toulousain Altij.
« Le problème ne vient pas en soi de l’existence d’un carnet numérique ou d’un fichier de gendarmerie, mais de la manière dont il est mis en œuvre et de son interconnexion avec d’autres fichiers », explique maître France Charruyer, l’avocate en charge du dossier, spécialisée dans les nouvelles technologies. En premier lieu, celle-ci s’inquiète d’un ”détournement de finalité”. Associé à d’autres registres, ce simple bloc-notes dématérialisé pourrait disposer de fonctions dont il n’est pas normalement pourvu. Comme la reconnaissance faciale, un dispositif existant sur le fichier de Traitement d’antécédent judiciaire (Taj) avec lequel il est connecté.
Par ailleurs, l’avocate alerte sur le risque d’un décloisonnement des données. « Nous observons une confusion entre les compétences des polices administrative et judiciaire. Dans la plupart des enquêtes, il n’est pas nécessaire que les agents aient accès aux données fiscales. À l’inverse, il n’est pas normal que des services administratifs puissent savoir qu’une personne a été ou non contrôlée lors d’une manifestation », détaille l’avocate. Ainsi, la mise en réseau de ces fichiers pourrait permettre aux maires ou aux préfets d’avoir accès à des informations dont ils ne sont pas censés avoir connaissance. D’autant que certaines d’entre elles peuvent être sensibles, personnelles ou confidentielles. En effet, une rubrique de commentaires libres donne, par exemple, la possibilité aux agents de saisir des informations concernant les opinions politiques, l’orientation sexuelle ou les convictions religieuses des personnes contrôlées.
Une inquiétude d’autant plus vive que la Commission nationale de l’informatique et des libertés a déjà alerté le gouvernement sur des problèmes de sécurité des données. L’organisme dénonce notamment une politique de mots de passe non conforme aux règles en vigueur. « Nous ne sommes pas rassurés sur la question du support. Nous constatons une absence de sécurisation du terminal utilisé par les agents, que les données ne sont pas cryptées et qu’il est impossible de les supprimer à distance en cas de perte », précise l’avocate. Celle-ci regrette également que le droit d’opposition et le droit d’accès à ces données ne soient pas clairement établis.
Enfin, maître France Charruyer dénonce une durée de conservation des données « en trompe-l’œil ». Prévues pour être archivées pendant un an maximum, les informations collectées sur le carnet numérique sont également enregistrées dans d’autres fichiers aux délais de conservation plus importants. « Notre recours ne s’inscrit pas dans une démarche militante. Par celui-ci, nous demandons simplement au juge compétent de se prononcer sur l’adéquation du fichier GendNote avec les lois qui lui sont supérieures. Le Conseil d’État devra aussi démontrer la nécessité et la proportionnalité d’un tel dispositif dans une société libre et démocratique. Si nous obtenons gain de cause, il faudra que le gouvernement revoie sa copie », défend Maître France Charruyer. Une procédure qui devrait s’étaler sur un à deux ans avant que l’institution ne rende son verdict. En attendant, les forces de l’ordre pourront continuer d’utiliser l’application.
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