DÉCLENCHEUR – Faire valser les clichés grâce à la photographie. Telle est l’ambition du projet ‘’Clichés de quartiers’’ porté par trois professeurs du lycée Rive Gauche au Mirail, des étudiants de Sciences-Po Toulouse et l’association la Gargouille. Par l’entremise de leur smartphone, une dizaine d’élèves de seconde ont posé un regard artistique et esthétique sur le quartier de la Reynerie.
Crédits : Franck Alix / JT
Un château de briques agrémenté d’une fontaine et de luxuriants palmiers, un couple, main dans la main, marchant paisiblement, une façade d’immeuble en mosaïques de couleurs… Difficile de croire que ces photos ont été prises à la Reynerie. Et pourtant, c’est bien ce qu’ont vu, en s’y baladant, une dizaine d’élèves de seconde générale du lycée Rive-Gauche, situé dans le quartier. Munis de leurs téléphones, ils ont eu carte blanche de la part de leurs professeurs pour l’immortaliser.
Ils ont aiguisé leur œil à l’occasion du cours d’enseignement d’exploration littérature et société chapeauté par Pascal Cabaret, professeur d’histoire-géographie, Nathalie Olive, documentaliste, et Yveline Vallée, professeur de Français. Avec pour consigne : « porter un regard différent sur un quartier déconsidéré », explique Pascal Cabaret. Les trois enseignants se sont rapprochés de l’association La Gargouille et du projet ‘’Clichés de quartier’’, porté par des étudiants de l’Institut d’études politiques de Toulouse. Chaque professeur a fait travailler les élèves sur l’histoire de la photographie, l’architecture, l’écriture.
Ce matin-là, Gaëlle, Rébecca et Phydji, trois des lycéennes, s’affairent à afficher le fruit de leur travail et de celui de leurs camarades dans le hall du lycée. Chaque cliché a été mis sous verre et porte un titre et un haïku, ces courts poèmes japonais exprimant un sentiment. Le château de la Reynerie est ainsi rebaptisé ‘’Notre Versailles’’, accompagné du vers : ‘’Le rayon à l’orée du bois dormant’’. Les images mettent en lumière des endroits, des moments, des détails à rebours des lieux communs.
Grâce à cette expérience, certains élèves se sont aventurés pour la première fois au-delà de l’enceinte du lycée. Comme Neila-Noor, qui vit à Borderouge. « À la base, je ne suis pas originaire de Toulouse. Quand nous sommes arrivés, on nous a déconseillé d’habiter au Mirail, parce que c’était un quartier chaud. En fait, on ne devrait pas se fier à ces points de vue. En faisant la visite, je me suis rendue compte que les habitants s’entendent très bien. Les gens calmes ne font pas parler d’eux ».
Pour dénicher des endroits insolites, ils ont été guidés par Catherine Beauville, fondatrice de La Gargouille et amoureuse du quartier du Mirail, où elle a toujours vécu. Son association organise depuis 15 ans des randonnées urbaines à la découverte des richesses architecturales de la Reynerie. « Peu le savent, mais l’architecture de Candilis est étudiée dans le monde entier. Contrairement à Empalot ou Bagatelle, il a eu la volonté de préserver le patrimoine ancien, les arbres centenaires, ce qui explique que le quartier est très vert », lance l’historienne. « Il ne faut pas être aveugle sur les problèmes, les dégradations, mais il y a aussi une richesse de ses habitants et des mémoires, et une certaine qualité de vie. Au cours de la visite avec ces lycéens, j’ai vu la fierté de ceux qui, dans le groupe, habitent le quartier, ils étaient ravis de le faire découvrir aux autres ». Mélissa et Hajar en font partie. Elles sont nées ici et sont lassées « du regard péjoratif » associé au quartier du Mirail. « En prenant en photo ce couple, on a voulu montrer qu’il n’y a pas que de la violence », glissent-elles.
Enthousiasmés par ce premier travail, les élèves ont souhaité poursuivre leur série en immortalisant leur lycée. Ce matin-là, le cours est consacré à choisir parmi 400 clichés, la dizaine qui sera exposée à son tour dans le hall de l’établissement et à l’occasion d’événements culturels futurs. Pascal Cabaret fait défiler les images sur un rétroprojecteur. « Celle-là, on garde, ça représente bien le lycée », lance Phydji, qui tient à défendre une image des coursives des couloirs. « On s’attendait à avoir plein de selfies, mais en fait, pas du tout. Ils ont vraiment posé un regard photographique », s’enthousiasme Pascal Cabaret. Muté depuis cinq ans dans cet établissement, le professeur est très attaché à « véhiculer une image dynamique de l’établissement ». « On sait bien que ce type de projet ne va pas booster les inscriptions. Mais cela valorise les élèves ». Il n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai. L’an dernier, il a réussi à faire participer le lycée au projet ‘’Inside out’’ lancé par l’artiste français JR. Cette œuvre d’art globale compile depuis 2011 des portraits, en noir et blanc et grand format, à travers le monde entier. Plus de 200 élèves et personnels de la cité scolaire du lycée Rive-Gauche se sont prêtés au jeu et sont depuis affichés sur les murs extérieurs de l’établissement.
Cette année, ce sont les photos prises par les élèves eux-mêmes qui s’attacheront à changer les regards. Après avoir été exposées dans le hall du lycée, elles seront visibles par le public et racontées par les adolescents au festival ‘’Les idées lumineuses’’, qui se tiendra du 13 juillet au 11 août, au château de la Reynerie.
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