Une année s’est écoulée depuis les élections législatives de 2022. Trois députés de Haute-Garonne, Christine Arrighi (EELV), Hadrien Clouet (LFI) et Laurent Esquenet-Goxes (Modem) se sont confiés au Journal Toulousain, sur leur expérience personnelle en tant que petits nouveaux à l’Assemblée nationale.
Hadrien Clouet (Nupes, LFI, 1ère circonscription de Haute-Garonne), Christine Arrighi (Nupes, EELV, 9e circonscription) et Laurent Esquenet-Goxes (Ensemble, MODEM, 10e circonscription) ont tous les trois découvert la fonction de député en 2022. Un an après leurs grands débuts au cœur du pouvoir législatif, ils témoignent de leur nouvelle vie, entre travail et vie privée, expérience et désillusion. Le Journal Toulousain les a rencontrés.
Hadrien Clouet était enseignant-chercheur en sociologie à l’université du Mirail avant d’être député. Militant depuis plus de 10 ans pour la France Insoumise, il a notamment participé à l’écriture du programme de Jean-Luc Mélenchon pour l’élection présidentielle de 2022. L’idée de devenir député a nécessité une certaine préparation mentale. « En novembre 2021, des groupes d’action de la France Insoumise sont venus me voir pour me demander si je voulais être candidat. Il fallait que j’y réfléchisse grandement, et en discuter en famille car j’allais me lancer dans une nouvelle vie avec de fortes responsabilités, bien différentes de celle d’un enseignant-chercheur. J’ai finalement accepté en ayant la certitude qu’on pouvait gagner. Je ne voulais pas faire de la figuration », confie celui qui a obtenu 54% des voix exprimées au second tour des élections législatives sur sa circonscription, face au candidat “Ensemble” Pierre Baudis.
Christine Arrighi elle, était cadre à la direction générale des finances publiques avant sa mandature. Elle a pris sa retraite en février 2022, mais a continué son engagement politique entamé il y a plus de 15 ans. Déjà candidate aux élections législatives de 2012 et 2017, elle nourrit cette volonté de devenir députée depuis longtemps : « C’est au niveau du Parlement que tout se joue, les marges de manœuvre sont plus importantes, notamment pour la transition écologique », explique-t-elle. Elle remporte, en juin 2022, la 9e circonscription face à la députée sortante Sandrine Mörch avec 58% des voix, devenant ainsi parlementaire pour la première fois. « Je n’ai pas ressenti de stress à l’annonce des résultats. C’est un cheminement et une préparation de longue date », affirme-t-elle.
De son côté, Laurent Esquenet-Goxes était informaticien jusqu’en 2017, avant de devenir collaborateur de Jean-Luc Lagleize, député de la 2e circonscription de Haute-Garonne de 2017 à 2022. Il devient ensuite suppléant de Dominique Faure, candidate “Ensemble”, élue sur la 10e circonscription de Haute-Garonne en 2022. Elle est rapidement nommée secrétaire d’État à la ruralité, propulsant Laurent Esquenet-Goxes au palais Bourbon. « Je ne suis pas tombé dans la politique hier, j’ai commencé mon engagement en 2003 auprès de François Bayrou. J’ai eu une préformation de député avec monsieur Lagleize mais il est vrai que j’ai été surpris, fier et très ému lorsque j’ai appris ma nomination. J’en suis tombé dans les bras de ma fille », raconte-t-il.
Quel est le rythme de vie d’un député ? Les trois parlementaires s’accordent sur un point : « On ne compte pas nos heures ». Selon leurs estimations communes, ils cumulent en moyenne autour de 70 à 80 heures de travail par semaine. Du lundi au jeudi soir ou vendredi matin, Hadrien Clouet, Christine Arrighi et Laurent Esquenet-Goxes sont à Paris pour travailler en commission ou être présents dans l’hémicycle pour voter les lois. « Les journées à Paris, c’est souvent du 8h-22h, parfois minuit ou plus, avec des séances qui finissent tard », témoigne Hadrien Clouet. Du vendredi au dimanche, les trois députés reviennent en Haute-Garonne, dans leurs circonscriptions respectives. « Le vendredi, je rencontre des élus, des journalistes, des associations, des citoyens sur les marchés. Le samedi, c’est plutôt des manifestations ou des commémorations », détaille Christine Arrighi.
Comment tenir le rythme ? « Pour être député, il faut être en bonne santé, j’ai la chance de l’être ! » sourit la députée écologiste. Tenus par la fonction qu’ils exécutent, les députés reconnaissent une cadence de travail effrénée, mais à laquelle ils s’adaptent : « J’arrive à tenir. Je suis assez dynamique et je n’ai pas de problème de santé particulier. Il faut savoir quand caler des pauses, c’est ça aussi le secret », dévoile Laurent Esquenet-Goxes. « Pour exercer cette fonction, il faut se donner à fond, et c’est pour ça qu’il ne faut pas le faire trop longtemps », estime de son côté Christine Arrighi.
Et justement, la vie sociale et la vie privée sont difficiles à préserver lorsqu’on embrasse la députation. « 75% des député(e)s se séparent à cause de la fonction », estime le député Modem. « C’est un véritable changement, pour moi-même et pour mon conjoint. Il faut que cela soit assumé, surtout avec des enfants », lance Christine Arrighi. Pour Hadrien Clouet, 31 ans, ce sont plutôt les sorties entre amis qui se font rares, à un âge encore propice à quelques festivités. « Difficile d’avoir des moments où on ne doit pas regarder la montre, mais ma famille et mes amis le comprennent », poursuit-il.
C’est le dimanche, qu’il soit complet ou partiel, que les pensionnaires de l’Assemblée nationale s’accordent un moment de répit. « Le dimanche après-midi, j’essaye de me libérer pour faire de la moto, j’aime beaucoup ça. Et j’essaye de voir ma mère ou manger avec ma fille », confie Laurent Esquenet-Goxes. Pour Christine Arrighi, le repos passe par la lecture, le théâtre et le cinéma et des sorties entre amis quand d’autres comme Hadrien Clouet se plaisent à se déconnecter du monde : « Je coupe le téléphone et je pars faire de la randonnée, ou du vélo dans la campagne. Je prends un week-end off tous les deux mois », explique le député insoumis.
Pour ce qui est des congés, les députés sont libres de les prendre quand ils le souhaitent, même si « c’est dur de déconnecter, on a l’impression de rater des choses essentielles », s’inquiète Laurent Esquenet-Goxes. Des suspensions de séances ont parfois lieu dans l’année, avec une fermeture du palais Bourbon pendant plusieurs jours ou semaines. « Lors de la dernière suspension de séance, mon époux et moi avons pris huit jours pour nous », se souvient Christine Arrighi. En été, l’Assemblée nationale ferme ses portes pendant un mois et demi ou deux, l’occasion pour les parlementaires de faire une pause, ou de se concentrer sur leurs circonscriptions. « En août prochain, je vais prendre une semaine de congés complète », s’enthousiasme Hadrien Clouet.
Au total, ce sont 577 députés qui siègent dans l’hémicycle du palais Bourbon à Paris. Bien que les opinions politiques peuvent diverger et échauffer les esprits dans l’Assemblée, tout n’est pas aussi sectaire que cela y parait. « Je discute avec tout le monde, du moment qu’ils veulent bien discuter avec moi. On traite avec des humains, on peut échanger sur des sujets professionnels mais on peut également avoir des discussions plus légères. Dans la brasserie à côté de l’Assemblée, on parle rarement politique, et il peut m’arriver de manger avec des collègues qui ne viennent pas de mon groupe politique. C’est sympathique », témoigne Laurent Esquenet-Goxes.
Pour Hadrien Clouet et Christine Arrighi, membres de la Nupes, le rapport humain est plus difficile avec ceux qui se trouvent de l’autre côté de l’hémicycle. « Avec le Rassemblement national, on ne se parle pas, il n’y a pas de violence dans les paroles mais on s’évite. Avec les propos qu’ils tiennent, je n’ai pas spécialement envie de les côtoyer. En revanche, une certaine partie des macronistes sont très sympathiques, et je prends plaisir à discuter boulot ou loisirs avec eux », confesse le jeune député insoumis. Le travail à l’Assemblée, le fait d’être souvent ensemble crée des relations humaines, selon Christine Arrighi : « Le travail collectif nourrit les relations humaines de confiance, que ce soit dans les commissions ou dans le groupe Nupes auquel j’appartiens. Nous découvrons de nouvelles personnes, et on se nourrit professionnellement et personnellement des autres », estime la députée de la 9e circonscription de Haute-Garonne.
Hadrien Clouet, novice en politique, avoue avoir eu quelques surprises, mais dresse un bilan positif de cette année : « Je pensais que j’allais être largué au niveau juridique, mais pas du tout. Au final, je me suis aperçu qu’il s’agissait plus de rapports de force que de pures connaissances règlementaires. En revanche, je me sens utile à l’Assemblée, et dans ma circonscription. Quand je rencontre les gens qui me font des retours positifs, cela me donne de l’énergie pour me battre », témoigne-t-il.
Laurent Esquenet-Goxes, qui a été propulsé au premier plan suite à la nomination au gouvernement de sa candidate Dominique Faure, a appris à prendre la lumière : « Je ne suis plus le même homme, j’ai grandi en tout point. Et je me suis forgé deux personnalités : l’une très sérieuse et rigoureuse quand je suis à l’Assemblée, et l’autre plus détendue quand je rentre dans ma circonscription. Même si le fonctionnement du palais Bourbon a de nombreux défauts, j’aime ce que je fais au quotidien, j’aime la politique. Et être député, c’est la cerise sur le gâteau », précise le député Modem.
Christine Arrighi, qui avait pris sa retraite en 2022 a dû reprendre une cadence professionnelle élevée, dans une mandature qui a renforcé ses positions politiques. « Ce qui m’a le plus surprise, et ce qui m’a mis le plus de pression, c’était le rythme de travail. Tout va très vite, qu’il s’agisse de la présentation des textes, des débats en commissions… Il faut tenir, mais dans l’ensemble, je m’en sors. Être députée, c’est une expérience extrêmement positive ; j’ai accès à un immense éventail de connaissances et d’informations. Cela a également renforcé mes convictions quant à l’urgence écologique et me motive encore plus à travailler pour convaincre et agir sur le sujet », conclut la députée Europe Ecologie-Les Verts.
Florian LEFEBVRE
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