INTERNATIONALISATION. Après « l’american dream », le rêve économique se vivrait-il en chinois ? Si le pays représente un marché potentiel énorme du fait de sa population croissante, il est difficile de s’y faire une place. Pourtant, de nombreuses entreprises de Midi-Pyrénées ont tenté l’expérience, avec plus ou moins de succès.
À l’heure où Dongfeng est entré dans le capital de PSA, où le conglomérat Fosun rachète le Club Med’ et où le consortium Symbiose vient de mettre la main sur l’aéroport Toulouse-Blagnac, le moins que l’on puisse dire est que les Chinois s’intéressent de très près au marché français. Et le Premier ministre Manuel Valls, en visite dans « la cité interdite », de réaffirmer que la France invitait le pays asiatique à investir dans l’hexagone. Mais l’inverse est-il pour autant avéré ? La Chine s’ouvre de plus en plus à l’international et laisse aujourd’hui des entreprises étrangères s’installer sur son territoire, mais encore faut-il montrer patte blanche. Si le marché reste énorme, les exportations françaises en direction de la Chine sont en recul (de 2.2% en 2013) et les parts de marché de nos sociétés n’y sont que de 1.4% en 2014. Pourtant, des entreprises de l’agglomération toulousaine ont choisi de tenter leur chance. Le potentiel économique reste donc important mais l’approche du marché chinois par les entreprises de Midi-Pyrénées semble difficile. « Dans un premier temps parce que ce qui est vendeur, c’est la Tour Eiffel. Il convient donc de bien leur expliquer les différences régionales qui existent dans notre pays et il faudra du temps pour que nos entreprises se démarquent », explique Vincent Labarthe, vice-président du conseil régional en charge de l’agriculture et participant à la délégation régionale qui s’est rendue en Chine, en octobre dernier. Dans un second temps, parce que leur conception des affaires et leur façon de mener des négociations sont radicalement différentes de la nôtre : « Il existe des codes très précis », poursuit-il, appuyé par Annie Tiraby-Florette, directrice commerciale chez Invivogen, entreprise toulousaine spécialisée dans les réactifs de recherches, implantée à Hong-Kong depuis juillet dernier, qui confirme : « Il faut rester humble et ne jamais les prendre de haut ! » Tout est dans la retenue, « il ne faut jamais traiter avec eux de manière frontale » souligne Carole Garcia, co-fondatrice de Graine de Pastel. Et pour compliquer un peu plus la chose, « il faut apprendre à les décrypter car leur posture n’est pas toujours très claire. Un « non » ne signifie pas forcément un refus catégorique, il convient de tout verrouiller car rien n’est acquis tant que rien n’est signé », poursuit-elle. Un autre participant de la mission régionale ira même jusqu’à dire « que les Chinois n’ont pas de parole ! » Effectivement, comme le confirme Bernard Plano, président de Midi-Pyrénées Expansion (MPE, future agence d’innovation et de développement économique) pour qui « les Chinois sont calculateurs, il ne faut quand même pas être trop timoré, ce sont des business men aguerris. Nous ne sommes pas au pays des Bisounours, loin de là ! » Les recommandations prises, reste à pénétrer ce marché chinois si particulier.
« Hong-Kong est une porte commerciale pour entrer sur le marché chinois continental »
Outre les règlementations sanitaires importantes (interdiction d’importation de charcuterie par exemple), les différences culturelles et la barrière de la langue, « les Chinois sont méfiants et n’accordent leur confiance qu’à des gens qu’ils connaissent », explique Annie Tiraby-Florette. D’ailleurs beaucoup travaillent en famille ou entre amis. Le point le plus important à développer pour se lancer sur le marché chinois est alors le réseau, les relations, les partenaires. Il est indispensable de nouer des contacts, qu’ils soient institutionnels ou dans la distribution, « c’est le meilleur vecteur de diffusion », affirme Bernard Plano, « établir un partenariat pour s’introduire dans les affaires est la condition sine qua non ! » Certaines entreprises ont ainsi choisi de « chasser en meute » et de bénéficier d’intermédiaires, notamment ceux de la Région. Une mission régionale, composée de responsables de collectivités et d’une vingtaine d’entreprises de Midi-Pyrénées, est partie en Chine en octobre dernier. « La Région joue un rôle de facilitateur et les Maisons du Sud-Ouest ouvertes à Wuhan et Chengdu, en sont la preuve. En commercialisant en leur sein des produits locaux, elles ont permis à 160 entreprises d’être actives en Chine » témoigne Vincent Labarthe. Et ces fameux contacts seraient plus faciles à lier à Hong-Kong. Contrairement à la Chine continentale, on y parle anglais et les us et coutumes y sont quasi occidentaux , l’approche en est donc facilitée comme le souligne la directrice commerciale de Invivogen : « pour être réactifs aux commandes et aux problèmes techniques, nous nous devions d’être présents en Chine. Mais nous nous sommes rendu compte rapidement que la culture et les manières de travailler étaient tellement différentes que ce serait compliqué. Hong-Kong est la destination intermédiaire et stratégique idéale. » D’ailleurs, par son dernier déplacement en Chine, la Région a clairement affiché sa volonté de renforcer ses relations avec cette plateforme d’échange commercial. « Hong-Kong est une porte commerciale pour entrer sur le marché chinois continental », certifie Bernard Plano, mais il ne faut pas s’y engouffrer sans quelques précautions. Le « marché chinois représente 300 millions de potentiels consommateurs (sur 1.5 milliards de Chinois) et attire les entreprises qui s’installent ou s’implantent au travers d’un partenaire, d’un distributeur », explique le président de MPE. Il s’agirait donc d’un marché gigantesque sur lequel tout le monde aurait sa part du gâteau ? Pas sûr, car il reste un dernier point à envisager, celui du volume. « Le Sac du berger », entreprise située à Carnus, dans l’Aveyron, en a fait l’amère expérience, victime du succès de son produit. « Les Chinois parlaient d’une commande dont la production serait quatre fois supérieure à celle de toute une année. Impossible de tenir les délais et d’assurer la livraison », regrette Vincent Labarthe.
Rien n’est absolu dans l’Empire du milieu et la difficulté d’accès à son économie rend le marché chinois très opaque, contrairement à certains pays émergeants en pleine croissance. Car même si notre « chroniqueur éco », Patrick Aubin estime que la Chine n’est pas à l’abri d’un choc économique (voir le supplément web), la Chine représente une manne certaine à ne pas négliger pour une entreprise visant un développement à l’international. Pour le vice-président du conseil régional, « il faut être présent en Chine maintenant pour pouvoir exister dans 10 ans ! »
Le + : Maison du Sud-Ouest
Après avoir ouvert une première Maison du Sud-Ouest (établissement commercialisant des produits régionaux en Chine) à Wuhan en juillet 2013, et une seconde à Chengdu en octobre dernier, la Région a annoncé la création de cinq nouveaux points de vente dans le Sichuan. Mais là encore, un intermédiaire est indispensable. Ainsi, un cabinet franco-chinois se charge de trouver des investisseurs qui eux, commercialiseront les produits du Sud-Ouest. Ainsi, un certain Mr Wan et la société Golden Leaves, ont financé les Maisons de Wuhan et Chengdu. Car toute la stratégie est là : vendre les productions régionales à moindre coût. Et ça marche ! « Nous avons créé le buzz car les Maisons du Sud-Ouest sont aujourd’hui tendance en Chine », se félicite Vincent Labarthe.
L’analyse de Patrick Aubin, notre « chroniqueur éco »
« Je n’irais pas jusqu’à dire que la Chine est aujourd’hui incontournable. En revanche, l’équation est simple : une entreprise recherche l’échange économique suivant, elle effectue une production pour ensuite la vendre. Si sa réalisation trouve une concurrence, son principal objectif sera d’être la plus compétitive possible. Si elle n’y parvient pas, elle cherchera à réduire ses coûts et c’est là tout l’intérêt de pays comme la Chine. L’Etat asiatique ne prélève que peu d’impôts, de cotisations sociales. Mais attention, cela ne reste intéressant que si la production n’exige pas de formations particulières. Il faut également faire une différence entre une entreprise française qui souhaite écouler sa production en Chine et celle qui veulent produire en Chine pour vendre ensuite en France. Effectivement, partant du principe que 100 millions de Chinois mènent un train de vie supérieur à la moyenne des Français, ce nouveau marché est important. Ils ont, en plus, tendance maintenant à rechercher des produits fabriqués à l’extérieur de Chine.
Mais si beaucoup de Chinois ont réussi à tirer leur épingle du jeu malgré un SMIC pointant à 100€, ils se tournent eux, vers l’Afrique. Alors, investir en Chine maintenant est peut-être une erreur. Les coûts, même s’ils restent moindres, augmentent tandis que la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Au final, il n’est pas impossible de trouver des pays plus compétitifs, à l’intérieur même de l’Europe. Si la Chine est aujourd’hui l’usine du monde, la hausse du niveau de vie de ses habitants me pousse à penser qu’un problème immobilier n’est pas loin : ils ont construits à outrance sans pouvoir remplir les logements. L’Espagne a connu le même processus et voyez où elle en est aujourd’hui… Il y a donc un risque réel à investir en Chine aujourd’hui, car l’Etat n’est pas « anti-fragile », il ne tiendrait pas face à un choc économique, qui je pense, est inéluctable. En une seule génération, ils se voient évoluer dans une économie occidentalisée, menée par un régime autoritaire. Les deux peuvent constituer un mélange explosif !
En d’autres termes, si une entreprise prévoit de vendre sa production en Chine, pourquoi pas ! Mais si elle entreprend de produire en Chine pour vendre en France, il est déjà trop tard ! C’est trop risqué !”
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