La fin de la guerre civile espagnole a entraîné un exode sans précédent de près de 500 000 personnes. C’est la Retirada, dont on commémore le 80e anniversaire et dont Toulouse est la capitale. Élisa Vilches retrace l’histoire de cette période tragique et de ses héros, dans les rues de la Ville rose.
Nous nous sommes donnés rendez-vous sur un banc du square Goudouli, place Wilson. C’est ici que les exilés de la guerre civile espagnole aimaient à se retrouver, au milieu du siècle dernier : « Ils l’appelaient le Parlamento, leur lieu de partage et d’échange, où ils discutaient de leur travail et de ce qu’il se passait des deux côtés de la frontière. Où l’on trouvait les journaux militants aussi… Et où l’on n’entendait pas beaucoup parler français ! », débute notre guide Élisa Vilches.
Elle a conçu un parcours, à travers les rues de la Ville rose, en souvenir de la Retirada, le grand exode républicain qui a contraint un demi-million d’Espagnols à quitter leur pays durant les premières années du franquisme. Ils sont 20 000 à choisir Toulouse, qui devient leur capitale. « C’est une période cruciale de l’Histoire dont il faut se souvenir. Or, avec le temps, la mémoire se dilue. Les acteurs de l’époque sont moins nombreux, leur histoire est moins présente dans la cité et dans les activités que celle-ci propose. » Ainsi, quand elle s’est rendue à l’office du tourisme de Toulouse, Élisa Vilches n’y a pas trouvé de circuit autour de la Retirada. « Je me suis dit que j’allais tout pour retracer leur parcours, même si cela devait me prendre une année ! »
Traductrice de formation, elle se plonge dans les livres d’histoire et rencontre des témoins. Elle rassemble les faits et tente de concilier les points de vue républicains, socialistes, communistes… Autant de catégories d’exilés aux sensibilités très différentes : « Je suis partie de leurs points communs : ils sont tous démocrates, anti-franquistes et ils partagent l’échec de la guerre civile. Je ne voulais pas mettre en avant une version plutôt qu’une autre. Les gens qui suivent ma visite m’en sont reconnaissants. » Parmi eux, beaucoup de touristes, et des Toulousains, dont quelques descendants directs.
« Avec le temps, la mémoire se dilue »
Passé la place du Capitole, où l’on venait manifester contre Franco, nous voilà devant la cinémathèque de la rue du Taur, qui fut le siège du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) à partir de 1939. On y trouvait le Ciné-espoir et le Théâtre du Taur, où se produisaient des troupes artistiques très engagées : « Les anarchistes espagnols se formaient ici à la prise de parole en public, au militantisme », explique la guide. De l’autre côté de la Garonne, l’ancien hôpital Varsovie, aujourd’hui baptisé Joseph-Ducuing, a été fondé par les guérilleros, en 1944 : « Six ans plus tard, l’ensemble de son personnel sera déporté en Algérie ou en RDA, suite à une rafle des communistes étrangers dirigée par le gouvernement français, sous la pression de Franco », précise la traductrice.
Les exilés subissent alors la normalisation de la dictature franquiste, reconnue par la communauté internationale : « C’est une deuxième défaite pour eux. Ils comprennent qu’ils ne rentreront jamais et se résignent à rester en France pour le reste de leur vie. Ils achètent des maisons, ils s’installent. Et, petit à petit, l’espoir perdu, ils cessent de militer. » Le Tour Toulouse Republicana d’Élisa Vilches s’achève à la Halle aux grains, où l’on célébrait tous les ans le 19 juillet 1936, date de la Révolution, jour où le peuple espagnol a pris les armes pour défendre la République.
Autant d’adresses, dispersées dans la Ville rose, qui n’attendent qu’une plaque commémorative. Comme celle scellée au Port Viguerie, le rebaptisant Quai de l’exil, en 2009, « le geste de reconnaissance le plus important de la municipalité », selon le guide. Ce n’est pas le seul. Par exemple, dans le jardin de Compans-Caffarelli, on trouve une stèle à la mémoire de Francisco Ponzan Vidal, un résistant anarchosyndicaliste : « Un tel hommage ne serait pas rendu en Espagne ! D’ailleurs, chez nous, le sujet est peu approfondi à l’école où l’on étudie davantage la Seconde Guerre mondiale. Comme s’il y avait la volonté de mettre un mouchoir par dessus et de ne pas en parler. Les Toulousains connaissent mieux que les Espagnols eux-mêmes cette période de l’Histoire… »
« Je ferai tout pour retracer leur parcours »
La guide de 34 ans constate toutefois que les arts, la littérature et les nouvelles générations s’y intéressent à nouveau. Avant de quitter Toulouse pour d’autres aventures professionnelles, Élisa Vilches a tenu à passer le flambeau et a dispensé une formation aux agents de l’office du tourisme afin qu’ils puissent, à leur tour, faire vivre ce parcours.
Commentaires