« Souviens-toi de nos enfants » est le livre-hommage de Samuel Sandler, un père dont la vie a été brisée. Il a perdu son fils Jonathan et ses petits-fils Arié et Gabriel dans l’attaque terroriste de l’école Ozar Hatorah, le 19 mars 2012. Depuis, l’homme se bat pour qu’on ne les oublie pas.
Qu’est-ce qui vous a décidé à écrire ce livre, six ans après les faits ?
Cela ne m’était pas venu à l’esprit auparavant et je n’en ressentais pas le besoin. Je suis un ingénieur, pas un littéraire. Un jour, la maison d’édition Grasset m’a contacté et m’a présenté Émilie Lanez, journaliste à l’hebdomadaire “Le Point”, avec qui j’ai immédiatement accepté d’entreprendre le livre.
C’est un formidable moyen de faire vivre ceux que j’ai perdus. J’en ai besoin. Tous ces anniversaires, toutes ces étapes de la vie qui passent, sans qu’ils soient là… C’est trop dur. Cet ouvrage me permet de faire mon devoir de mémoire, en parlant d’eux, et sans avoir à attendre les commémorations officielles pour le faire.
Leur souvenir menace-t-il de s’effacer ?
Oui, petit à petit, et c’est normal. Le temps s’écoule, c’est le cycle de la vie… Pour les familles, en revanche, c’est très dur. Chaque attentat estompe le précédent et fait tomber dans l’oubli ceux qu’il a frappés. Notre cas est un peu différent, dans la mesure où l’on y fait très souvent référence. Mais c’est uniquement pour évoquer l’assassin. On ne se souvient que de son nom à lui, pas de celui des victimes. Et c’est insoutenable.
Vous accomplissez plusieurs devoirs de mémoire dans ce livre…
Oui, j’ai voulu que l’on se rappelle aussi de la génération d’avant, celle des déportés. De mes aïeux qui ont fui les pogroms. De ma grand-mère, mon oncle, ma tante du Havre et de mon cousin de huit ans que l’on est venu arrêter un beau matin pour partir vers les camps de la mort. Cette image me hante. Comme il est écrit dans le livre, c’est l’histoire d’une famille juive sur les trottoirs de France.
Quelles ont été les réactions de vos lecteurs ?
J’en ai rencontré beaucoup. Parmi ceux qui me connaissent, certains m’ont dit : « Quand cela ne va pas, on relit ton bouquin… Tu as quand même eu d’autres soucis que nous. » J’ai reçu beaucoup de lettres aussi, qui m’ont profondément ému. Je n’ai d’ailleurs pas été capable d’y répondre. Les gens écrivent des choses remarquables. Comme ce courrier d’un ancien ministre où l’on peut lire : « Vos mots, vos larmes, vos souvenirs les rattachent à la terre des vivants ». Je crois que le devoir de mémoire, c’est exactement ça : rattacher les morts à la terre des vivants.
Ce livre vous a permis de toucher de nombreux publics…
J’interviens dans des conférences, dans des salons, chez des libraires ou auprès d’associations, comme ce fut le cas à Toulouse l’été dernier. Maintenant que je suis à la retraite, je peux me consacrer pleinement à cela. Je vais aussi dans des lycées, où, lorsque le professeur a bien préparé sa classe, cela se passe admirablement bien. Je crois que les élèves sont contents de m’entendre. Je leur dis à la fin que c’est à eux, à présent, de continuer de témoigner et de faire, à leur tour, un devoir de mémoire. Ils le comprennent bien et s’y appliquent sincèrement.
Propos recueillis par Philippe Salvador
À 72 ans, Samuel Sandler est à la retraite après une carrière d’ingénieur dans l’aéronautique. Il a publié en 2018 « Souviens-toi de nos enfants », aux Éditions Grasset.
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