L’Histoire avec un grand H a longtemps été affaire de gloire et de vainqueurs. Mais depuis plusieurs décennies, une lecture des événements plus centrée sur l’humain s’est imposée. Braquant les projecteurs sur les victimes innocentes, les soldats inconnus, les civils oubliés… Le devoir de mémoire. Une expression abrupte qui traduit la difficulté de cet exercice consistant à regarder son passé en face. Retirada, Shoah, AZF, attentats… À Toulouse, les traces de ce douloureux passé sont nombreuses. Le JT jette un coup d’œil dans le rétroviseur pour mieux avancer.
Le devoir de mémoire n’a pas toujours existé. Le terme n’a émergé que dans les années 1970 selon Sébastien Ledoux, docteur en Histoire contemporaine, auteur du livre ‘’Devoir de mémoire. Une formule et son histoire’’. « Jusqu’ici utilisé pour rendre hommage aux morts, le mot mémoire va alors exprimer un sentiment de perte d’un patrimoine. Sans être nécessairement associé à la Seconde Guerre mondiale ». Mai 1968 est passé par là, la ruralité s’éteint, les usines ferment, le communisme s’effondre et le chômage apparaît… C’est la prise de conscience d’un changement d’époque et un « renversement dans la façon de vivre le temps », précise Sébastien Ledoux.
Au début des années 1990, le terme devient une formule. La France ouvre les yeux sur l’ampleur des atrocités de la Shoah. « Le devoir de mémoire se cristallise sur la reconnaissance officielle des crimes commis par l’État. On s’intéresse désormais aux victimes et plus seulement aux héros », souligne le chercheur. De même, les vaillants ‘’poilus’’ sont considérés comme les martyrs d’une vaine boucherie. Les vertus que l’on prête alors au devoir de mémoire sont toujours celles qui prévalent aujourd’hui : réparation envers les victimes innocentes, reconnaissance de la vérité face au mensonge pour éviter de reproduire les erreurs du passé. « Les leçons de la résistance doivent servir à faire vivre les valeurs démocratiques de la République », illustre Anne Goulet, directrice des Archives départementales de la Haute-Garonne.
Mais le devoir de mémoire est une affaire sensible. Au tournant des années 2000, certains intellectuels dénoncent une injonction normative. D’autres souhaitent mettre fin à la repentance. La formule se politise. Parrainage d’enfants victimes de la Shoah, lettre de Guy Moquet, la mémoire est parfois instrumentalisée. La controverse agite aussi le milieu des historiens qui déplorent une utilisation émotionnelle et morale des souvenirs.
« Mener un travail historique avant que les souffrances soient entendues »
« Ces derniers sont une source qui doit systématiquement faire l’objet d’une approche scientifique, les deux se nourrissent et il ne faut pas les opposer », analyse Sophie Barthes-Marcilly, responsable de la médiation culturelle du Musée départemental de la résistance et de la déportation, situé à Toulouse, qui est justement en train de se doter d’un nouveau projet culturel et scientifique.
Dans une société où la mémoire est de plus en plus présente, les grands thèmes qui font consensus ont toutefois cédé la place à une kyrielle de luttes contre l’oubli. « Il y a une grosse attente et les gens veulent participer, comme en témoigne le succès de nos collectes d’archives. Mais on sent aussi que, pour certains événements comme la guerre d’Algérie, il est préférable de patienter. Il faut mener un travail historique avant que les souffrances puissent être entendues », assure Anne Goulet.
« Un bon usage des souvenirs est l’affaire d’un savant dosage »
Désormais démocratisé, le devoir de mémoire ne cesse d’évoluer. Depuis quelques années, on l’évoque au sujet d’épisodes traumatisants pour lesquels il prend une dimension curative. Un mémorial des attentats serait d’ailleurs en projet à Paris. S’il met en garde contre le risque de ressassement, Sébastien Ledoux estime qu’ « un bon usage des souvenirs est l’affaire d’un savant dosage ».
© Le Journal Toulousain
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