Alors que le gouvernement a fait du déploiement des centres éducatifs fermés un élément déterminant de sa politique judiciaire envers les mineurs, à Cornebarrieu, une structure expérimentale mise au contraire sur la liberté de mouvement. Le centre éducatif passerelle Albatros apprend aux jeunes à reprendre leur place dans la société.
À quelques encablures du centre de rétention administrative de Cornebarrieu, l’entrée d’Albatros, structure expérimentale pour les mineurs délinquants, fait directement face au cimetière de la commune. Pas de grilles ni de barbelés. Un simple portail électrique matérialise l’accès à cette ancienne ferme entourée de 5 000 m² de verdure. « Il n’est là que pour rassurer les voisins, les jeunes peuvent aller et venir librement », annonce Anne Dufour, directrice de ce centre éducatif dit « passerelle », l’un des rares du genre en France. « Nous sommes un peu à la marge des dispositifs classiques. Ici, le but est de confronter les mineurs à la réalité, avec un travail sur l’insertion professionnelle et la rescolarisation, plutôt que de les en éloigner. »
« Le but est de confronter les mineurs à la réalité plutôt que de les en éloigner »
Albatros accueille 12 garçons de 16 à 18 ans, dont trois dans des studios indépendants. Des jeunes placés là par des magistrats pour une durée de six mois, suite à des délits répétés mais sans gravité, en guise d’alternative à la prison pour mineurs ou au centre éducatif fermé (CEF).
En ce matin de mars, seuls trois pensionnaires sont présents, profitant des vacances scolaires. Les autres sont sur leurs lieux de formation ou d’apprentissage. Dans la cour centrale du bâtiment, Karim*, 17 ans, nettoie une voiture. « Je donne des coups de main aux éducateurs, il faut bien s’occuper », lance-t-il avec un grand sourire. À son arrivée, son souhait était de reprendre l’école. Il est inscrit en seconde, en bac professionnel boucher-charcutier-traiteur. Pour ceux qui n’auraient pas encore « accroché » sur une formation, il y a toujours une tâche à accomplir sur place. Le centre propose des ateliers en interne : cuisine, mécanique, petites menuiseries ou espaces verts. La plupart du temps sous l’œil ferme et bienveillant de Jimmy, éducateur technique. Dans la grange, où s’amoncellent les matériaux et objets en tout genre, ce dernier montre les réalisations des mineurs : niches à insectes, cages à oiseaux… Ainsi qu’une mini moto, démontée et remontée des centaines de fois. « J’essaye de leur apprendre à fabriquer, de leur donner des bases. Avec eux, au début, c’est toujours “non”. Ils ne veulent rien faire. Mais avec un peu d’expérience, on arrive à les impliquer », avance Jimmy.
L’équipe est composée d’une dizaine de personnes : éducateurs spécialisés, psychologue, agent de service, cuisinier, surveillants de nuits… Les jeunes bénéficient aussi d’activités sportives et peuvent s’inscrire dans des salles ou des piscines. « Il y a des règles à respecter mais pas tant d’interdits que cela. Ils peuvent téléphoner, ont accès à Internet et ont le droit de fumer. Mais nous travaillons avec eux sur l’addiction. L’idée est de les amener à faire leur propre choix. De leur faire comprendre que s’ils ne jouent pas le jeu, ils le paieront un jour ou l’autre. Certains sont assez paniqués au début devant tant de possibilités », poursuit la directrice.
En cuisine, le chef Benoît prépare le barbecue du midi. Cela fait deux ans qu’il travaille au centre : « Je ne pensais jamais tenir aussi longtemps. C’est parfois très chaud, mais il y a également des bons moments. J’ai pris avec moi un jeune pendant deux mois, qui est aujourd’hui en apprentissage en boucherie. Ça fait plaisir ! » Inévitables, les tensions surviennent surtout à l’arrivée de nouveaux pensionnaires, qui doivent trouver leur place. Pour apaiser le climat, Albatros mise sur la présence animale : chiens, chats et poules. « Ces adolescents ont souvent un passé très compliqué et une grande méfiance envers les adultes. Les animaux, eux, ne les jugent pas. Et puis quand ils sont vraiment à bout, ils ont la possibilité de sortir. Les accès de violence physique sont assez rares », raconte Anne Dufour.
« Les accès de violence physique sont assez rares »
Occupé à tondre la pelouse, Fabrice, bientôt 18 ans, profite d’une pause essence pour faire le point sur sa situation. En arrêt suite à une blessure à la cheville, il est actuellement en formation dans une entreprise de maçonnerie. Arrivé en septembre, il repassera devant le juge dans quelques jours : « C’est la première fois de ma vie que je travaille. Physiquement, c’est hyper dur mais ça se passe bien. Le patron est content de moi, il me fait confiance. Maintenant, je suis pris au sérieux. »
« Être ici, on dirait que ça m’a donné plus de sérieux »
Souffrant de l’éloignement, l’adolescent originaire de Grenoble est en plein dilemme : « Il me faudrait rester quelques mois de plus pour avoir un diplôme mais j’en ai marre de ne pas voir ma mère et mes potes. En plus, aujourd’hui, je sais que je peux travailler. » S’ils peuvent arrêter l’expérience quand ils le souhaitent, au risque de retomber dans le dispositif classique, les mineurs ont aussi le choix de renouveler leur placement. La moyenne des séjours à l’Albatros est de 11 mois.
NDLR : Les prénoms ont été changés.
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