Les femmes vigneronnes ont désormais pignon sur vigne et portent haut les valeurs de la solidarité féminine en se réunissant au travers de collectifs dynamiques et volontaristes. Rencontre dans l’Hérault avec trois ‘’Intrépides’’ qui assemblent leurs différences et leur passion commune des vins du Languedoc.
Il fut un temps, pas si lointain, où l’on racontait qu’une femme indisposée qui entrait dans un chai faisait tourner le vin… Puis il y a eu les ‘’veuves champenoises’’, Barbe-Nicole Clicquot-Ponsardin, Jeanne-Alexandrine Pommery, Lily Bollinger, ou encore Adèle Jouët et la dynastie des veuves Devaux, qui prouvèrent que les femmes étaient d’excellents chefs d’entreprises et des vigneronnes visionnaires.
Aujourd’hui encore, quelques-uns, de plus en plus rares heureusement, parlent de vins qui seraient « féminins » par leurs arômes, leur intensité, leur teneur en tanins… Et au restaurant, c’est encore souvent l’homme que l’on sert en premier pour goûter le vin… Pourtant les faits sont là : le milieu viti-vinicole se féminise. En France, aujourd’hui, la moitié des étudiants en œnologie prétendant au fameux Diplôme National d’œnologue sont désormais des étudiantes. On compte près de 20% de sommelières et 30% de cheffes d’exploitation agricole viticole tandis que l’on voit de plus en plus souvent des domaines transmis ‘’de père en fille(s)’’ voire ‘’de mère en fille(s)’’.
Quant aux vins, ils ne tournent toujours pas mais ils se renouvellent et incarnent cette nouvelle philosophie des vignerons d’aujourd’hui : révéler le terroir et le fruit, imaginer des vins à la fois instinctifs et aromatiques, protéger la terre et préserver l’avenir. Autant de sujets sur lesquels les femmes vigneronnes excellent en toute modestie et solidarité.
C’est peut-être cela qui différencie ces femmes vigneronnes des hommes : l’instinct et la solidarité. Et c’est cela qui est à l’origine de la création de ces toujours plus nombreux collectifs, petits ou gros, de vigneronnes, qui se regroupent par région viticole, appellation, affinités… Le premier fut bordelais : les Aliénors du Vin seront créées dès 1994. Puis Femmes & Vins de Bourgogne en 2000, les Vinifilles en 2009, les DIVINes d’Alsace en 2011, les Fa’Bulleuses champenoises ou encore en 2014 les SO Femmes & Vin du Sud-Ouest, et les Zelles Gaillacoises qui produisent du vin tout en œuvrant à la restauration des pigeonniers du Tarn. Le collectif transnational francophone Women do Wine (France, Suisse, Belgique, Canada) sera lui créé en 2017.
Ce qui les unit ? Leur métier, leur passion, le partage d’une certaine vision du vin mais aussi les soucis, les aléas d’un quotidien parfois rude. À l’image d’une soirée improvisée, désespérée, qui a réuni quelques-unes des Vinifilles au lendemain du terrible gel d’avril 2021 : « Nous nous sommes retrouvées en ayant les larmes aux yeux. Nous avons apporté quelques bouteilles et à la fin de la soirée, nous avons dansé. Cela nous a fait du bien de parler et de partager ».
Partager : c’est ce qui fédère les trois ‘’Intrépides’’ du Languedoc. Anaïs, Lidewij et Marie. Des hectolitres de passion, de volonté, d’audace et de détermination pour gérer chacune leur domaine, hérité ou créé. Des Terrasses du Larzac au Picpoul de Pinet en passant par les Coteaux du Languedoc ou de Béziers et autres IGP, ces vigneronnes soignent avec amour leurs Syrah, Cinsault, Mourvèdre, Carignan, Grenache, Roussanne, mais aussi Picpoul ou encore Chenin, Viognier, Chardonnay et peaufinent des cuvées qui leur ressemblent. Comme cette Dame Rouge 2018 au nez charmeur et cette Diva 2020, un pur Grenache élevé pour moitié en amphore et moitié en fût, à la finale beurrée, ou cette cuvée Unique d’esprit bourguignon : ces vins libres d’esprit sont imaginés par Lidewij (avec ses trois filles), la Néerlandaise devenue languedocienne en 2004 et dont le domaine Terre des Dames porte bien son nom et haut ses ambitions. Une tout autre histoire à La Croix Gratiot où Anaïs, qui a repris les 30 hectares familiaux, fait ses gammes sur un air de Zazous (blanc et rouge), de Rosé Joséphine, d’un Chant des Dolias ou d’un Zaizaizai aux airs de Txakoli. En altitude, sur les contreforts du Larzac, Marie (et son mari) élabore des vins sauvages mais gourmands aux noms de Bachi-Bouzouc, Bilbo, Réserve d’O ou encore cet atypique Octo Anni, élevé en fût et sous voile pendant huit ans.
Trois domaines, trois parcours, trois styles mais des valeurs communes pour ces ‘’Intrépides’’. À commencer par la préservation de la terre, en bio ou selon la philosophie de la biodynamie, et l’ancrage farouche dans le terroir languedocien tout en s’autorisant des libertés hors du carcan des appellations. Les trois Intrépides revendiquent sensibilité et intuition mais aussi travail acharné et un côté rebelle mais surtout solidaire. Et quand on leur demande pourquoi elles ont créé un collectif de femmes, la réponse ne se fait pas attendre : « L’idée est de communiquer ensemble, d’aller sur des salons. Mais il y a aussi une dimension affective, on échange, on rigole, on se confie… Les hommes en ont peut-être moins besoin… Autre axe important pour les ‘’Intrépides’’ : la transmission, en s’adressant aux jeunes, aux écoles, et la valorisation de la gastronomie locale ». Les vigneronnes du XXIe siècle ont de belles idées.
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