Le village de Peyssies, au Sud de Toulouse, accueille depuis quelques mois une expérience inédite. Un ESAT (Établissement et service d’aide par le travail) a racheté le RestÔ des lacs pour permettre à des travailleurs handicapés d’évoluer en milieu ordinaire. Bienvenue dans un restaurant comme les autres.
En cette matinée de novembre, la brume donne au RestÔ des Lacs un côté hors du temps. Planté entre les deux lacs de Peyssies, petit village du Volvestre où les champs s’étendent à perte de vue, l’établissement semble endormi. Impression démentie dès la porte franchie. Comme chaque jour, l’équipe s’affaire à préparer la soixantaine de couverts qu’il sert en moyenne. Les cuisiniers peaufinent les entrées avant de les disposer sur un buffet. Dans la grande salle décorée de photographies de films comme ‘’La Soupe aux choux’’, on dresse les tables. Un restaurant classique… en apparence seulement.
Car depuis le 3 avril dernier, le RestÔ des Lacs est géré par de nouveaux propriétaires peu conventionnels dans le milieu de la cuisine : la société Le SAS du Volvestre, créée par l’ESAT (Établissement et service d’aide par le travail) de l’Association des jeunes handicapés (AJH) de Lahage, près de Rieumes. « Dans le cadre du parcours de professionnalisation, nous avions mis en place un restaurant d’application, une fois par mois. De là, plusieurs de nos bénéficiaires ont émis le souhait d’exercer un métier dans ce secteur. Or, comme il s’est avéré compliqué de trouver des employeurs, nous avons décidé de fonder la structure nous-mêmes », raconte Florence Pena, monitrice principale d’atelier, à l’origine de ce programme unique avec Didier Gaillard, le directeur.
Comme son nom l’indique, le SAS du Volvestre a été conçu comme une passerelle entre le secteur médico-social et le monde du travail. Du dressage à l’encaissement, huit travailleurs handicapés de l’ESAT sont salariés ici. « C’était leur projet. Il a été rendu possible grâce à des professionnels qui ont été aussi fous que nous pour accompagner cette aventure », signale Didier Gaillard. Parmi eux, Sandrine Gilama était déjà la serveuse des lieux du temps des anciens propriétaires. « Au début, j’étais un peu inquiète de la réaction de la clientèle. Mais aujourd’hui, il vient tellement de monde que, parfois, on ne sait pas où mettre les gens. C’est merveilleux », se réjouit-elle.
Pour confirmer ces propos, les clients arrivent soudainement comme s’ils s’étaient tous donnés rendez-vous à la même heure. Tout le monde se salue et se dirige directement vers le lavabo pour se laver les mains avant de piocher parmi la charcuterie, les salades ou autres œufs mayonnaise en libre-service. Ouvriers, agriculteurs, retraités ou commerciaux ont parfois parcouru une quinzaine de kilomètres pour passer leur pause déjeuner dans cette cantine populaire. « Je viens tous les lundis depuis plusieurs années. Quand l’établissement a changé de propriétaire, je me suis demandé s’ils n’auraient pas dû préciser la nouvelle spécificité du lieu, celle d’employer beaucoup de travailleurs handicapés.
« Le niveau d’exigence est le même que dans n’importe quel autre restaurant »
Mais au final, cela n’a pas eu d’incidence. Enfin si, la cuisine est plus élaborée qu’avant », apprécie Christophe, un des nombreux habitués. Malgré de rares remarques désobligeantes, tout se déroule dans la bonne humeur depuis les débuts. Au moment de prendre les commandes du plat principal, une serveuse malentendante est loin de se démonter face aux plaisanteries complices de ses clients qui hésitent entre steak-frites et lasagnes.
En sept mois d’existence, le RestÔ des Lacs a déjà fait ses preuves. Tant au niveau du modèle économique que du pari lié à ce programme d’inclusion innovant. « Les travailleurs ne sont plus dans un monde protégé. Le niveau d’exigence est le même que dans n’importe quel autre restaurant, tout en gardant un aspect pédagogique. Quand je constate les progrès qu’ils réalisent, c’est un pur bonheur. Et par rapport à ce que j’ai connu avant, l’assiduité est remarquable », témoigne Raphaël Randrianasolo, un des deux chefs à se relayer derrière les fourneaux. C’est aussi l’intérêt de l’initiative : démontrer que, dans un secteur en tension, soumis au turn-over, s’ouvrir aux travailleurs handicapés peut être une solution fiable pour l’avenir.
« Je cuisine pour de vrais clients »
Tandis que ces derniers gagnent en autonomie dans un environnement qui ne les stigmatise plus. « Je cuisine pour de vrais clients, les menus changent tous les jours… C’est enrichissant et je n’ai pas l’impression que l’on m’aide en raison de mon handicap. La maladie me suivra toute ma vie mais ce boulot me permet de me stabiliser », confie Patrick, cuisinier diagnostiqué schizophrène à l’âge de 18 ans.
En ébullition, Didier Gaillard et ses comparses veulent aller encore plus loin. Élaborant déjà leur propre vin, ils vont ouvrir un deuxième restaurant à Rieumes et ont en tête une activité de traiteur à base de produits bio et locaux. Le tout afin d’offrir toujours plus de débouchés aux travailleurs handicapés et de faire reculer les préjugés.
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