COURSE. Avec leurs gros cubes sur le dos, les livreurs à vélo ne passent pas inaperçus dans les rues de Toulouse. Ils sont de plus en plus nombreux. Le JT a enfourché un vélo pour voir ce qu’il se passe derrière nos livraisons.
18h30. Un étrange balai débute square Charles de Gaulle. Imperméables bleus fluo, grands cubes isothermes au pied de leur deux roues, les livreurs à vélo commencent le service du soir. En voilà un, puis deux, puis une dizaine. À Toulouse, ils sont près de 200, pour la plupart des étudiants, à exercer cette activité. Entre deux commandes, l’office de tourisme est devenu leur point de ralliement. «Nous nous retrouvons ici car en trois minutes, nous pouvons récupérer les plats dans les restaurants. Mais pendant les moments creux, nous sommes une vingtaine à attendre», lance Benjamin, 18 ans, étudiant en droit et livreur depuis août.
Pour comprendre dans quelles conditions ils travaillent, je vais tenter de les suivre.
Ce jour-là, la préoccupation première est la météo. «Le plus chiant c’est le vent et la pluie, ce soir ça va être dur. Mais nous n’avons pas le choix, on doit faire avec. Toi avec ton VéloToulouse, tu vas ramasser pour nous suivre», s’amuse Nico, étudiant en communication, emmitouflé dans son sweat à capuche noir.
En face de lui, Benjamin se prépare. La société met à sa disposition le cube de livraison qu’il fixe sur son dos, deux tee-shirts, un pantalon anti-pluie et une batterie de portable externe. Les livreurs à vélo financent eux-mêmes le reste. «Il y a un investissement personnel important. Il faut payer le vélo, l’entretien, avoir un téléphone dernière génération, une assurance en cas d’accident, mais aussi des vêtements pour les différentes saisons. C’est un budget de 250 à 300 euros au départ», détaille le jeune homme.
Le portable de Benjamin sonne. Une notification lui indique une commande à récupérer dans un restaurant à Saint-Georges. L’itinéraire s’affiche sur son smartphone. Il enfourche son vélo. Moi, un VéloToulouse pour le suivre. Arrivé sur place, il glisse les salades et les boissons dans la glacière, puis file vers son point de livraison. Ce sera Patte d’Oie.
Dès les premiers mètres, j’ai le souffle court, les jambes lourdes, je sue à grosse goutte. Sur le Pont-Neuf, je perds Benjamin de vue. Il a posé un pied à terre et m’attend. À mi-parcours entre deux feux rouges, il dresse un constat cinglant. « Avec toi qui me suis, je suis à 10km/h en dessous de ma moyenne habituelle. » Pas le temps de souffler, on repart. Zigzag entre les voitures, feux rouges grillés. À Saint-Cyprien, deux ambulances surgissent, Benjamin en profite pour prendre l’aspiration et se frayer un chemin plus rapidement. Résultat : près de trois kilomètres en moins de 10 minutes. Cette première course lui rapportera 5€ net.
Sur le chemin du retour, il explique pourquoi il a choisi ce travail. « Je pédale pour avoir un complément de salaire en parallèle de mes études. Je peux choisir mes horaires. Le soir, c’est mieux car il y a plus de courses. Dans les bons jours je peux toucher 95 euros (brut, ndlr), mais pour les avoir, j’ai livré 18 repas et pédalé plus de 50 bornes. »
Arrivé square Charles de Gaulle, Benjamin termine à peine de saluer les autres livreurs à vélo que son portable vibre à nouveau. Il fonce du côté de Palais de justice.
Outre les étudiants, d’autres se sont lancés à plein temps dans ce job, à l’image de Carlito. «J’étais à la rue. La société ne me demande pas de qualifications particulières, c’est le moyen le plus simple pour me faire de l’argent.» Comme tous les autres livreurs, il a dû obtenir le statut de micro-entrepreneur pour pouvoir exercer, avec les inconvénients que cela comporte. «On est dans une ubérisation du service. Il existe deux sortes de contrats, avec une base de rémunération fixe et ceux qui sont payés à la commande. Certains livreurs prennent tous les risques pour rentabiliser les courses. J’en connais qui ne sont pas même pas assurés.»
Lui a déjà eu un accident. Il a percuté une voiture qui lui avait coupé la route. Malgré le risque que ce métier comporte, il ne retient que le positif, comme de nombreux livreurs rencontrés ce soir-là. «Pour moi, c’est une philosophie de vie. Il s’agit d’un dépassement de soi : faire le maximum de courses, c’est un défi sportif. Certains sont des fous de deux roues, ils ont des bécanes à 1000 euros et bossent 90 heures par semaine. Bien sûr, ils font ça pour l’argent, mais ils aiment aussi la route. »
23 heures. Les cyclistes désertent le square Charles de Gaulle. Au loin, les lumières de leurs frontales disparaissent. De mon côté, c’est avec soulagement et les jambes courbaturées que je ramène mon VéloToulouse, bien décidé à ne plus en utiliser un avant un long moment.
* Les prénoms ont été modifiés.
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