De la part de : Jérôme Calas, naturaliste amateur originaire du Tarn, il rejoint l’association Nature Midi-Pyrénées en 1992, dont il devient président en 2006. Rémi Fraysse, décédé à Sivens, était un jeune militant investi au sein de l’organisme.
Destinataire : Thierry Carcenac, président du Conseil général du Tarn, il est aussi Sénateur du même département, et membre de la commission des finances à l’Assemblée nationale. Il est un des plus fervents défenseurs du projet de barrage de Sivens.
M. le président du Conseil général,
Les évènements de ce dernier week-end à Sivens ont suscité de nombreuses réactions, que ce soit dans la sphère médiatique, politique et plus largement dans la société. La colère est légitime face à la mort, surtout lorsqu’elle intervient dans de telles circonstances. Mais ce qui nous permettra à tous d’avancer, c’est de chercher à comprendre comment nous en sommes arrivés là. Comprendre comment ce jeune homme a pu perdre la vie par amour de la nature, comprendre pourquoi des centaines de personnes que l’on peut appeler ‘’militants’’, en fait la plupart de simples citoyens, se réunissent tous les week-end depuis plusieurs mois sur le site ou ailleurs, comprendre pourquoi nos associations se battent depuis des années pour essayer de faire cesser ce projet.
Le cas du barrage de Sivens n’est pas qu’un débat d’aménagement du territoire, c’est bien plus que cela, puisqu’il interroge nos choix de modèle de société, avec au fond, la question primordiale de notre rapport à la nature : que l’on ait, durant des décennies, imposé à notre environnement ce que l’on appelle des « aménagements d’utilité publique » au nom du développement économique, ne nous dispense pas de nous poser aujourd’hui des questions plus complexes sur leur légitimité sociétale.
“M. le Président, il n’y a rien de dégradant à changer sa route lorsque qu’on s’aperçoit que celle-ci n’est plus la bonne”
Le site choisi pour édifier ce barrage est constitué d’un paysage préservé, issu de la symbiose entre la nature et des pratiques agricoles soutenables. L’un des désormais rares endroits de plaine dans le sud-ouest qui puisse revendiquer cet héritage et surtout revendiquer sa capacité à accueillir un écosystème qui fonctionne encore dans des conditions favorables. Un endroit qui mêle des prairies cultivées de façon extensive, habitat de nombre d’insectes réfugiés anthropiques, une rivière au régime encore naturel et une zone humide boisée, poumon de sa respiration hydrique pour le bien commun.
Que l’on puisse ne serait-ce qu’avoir l’idée de détruire un tel endroit est difficilement concevable pour un naturaliste, ou tout autre personne pour qui le respect du vivant est une notion fondamentale et imprescriptible. Tellement de paysages ont disparu ou ont été fortement dégradés sur notre territoire que l’on ne peut plus faire l’économie d’une telle réflexion à chaque nouveau projet et d’autant plus si celui-ci s’avère discutable.
Il est nécessaire, et encore temps, de revoir ce projet en nous mettant tous autour de la table. Le projet tel qu’il a été pensé et aujourd’hui critiqué par les experts doit être abandonné. Il y a d’autres moyens d’atteindre l’objectif assigné à ce barrage, c’est-à-dire le maintien d’une agriculture pérenne dans la vallée. Avec moins d’argent, on peut concevoir un projet de territoire beaucoup plus novateur et ambitieux. M. le Président, il n’y a rien de dégradant à changer sa route lorsque qu’on s’aperçoit que celle-ci n’est plus la bonne. Personne ne pourra vous le reprocher.
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