Choc des cultures. La rencontre est improbable a priori entre un chef d’entreprise dans le milieu automobile et une responsable EELV régionale. Mais Pierre Perez et Véronique Vinet se sont prêtés au jeu du déjeuner-débat dans une grande courtoisie. Au menu, la remise en cause du statut de fonctionnaire, les manifestations contre le RSI et la stratégie Bolloré à Canal +.
Par Séverine Sarrat et Coralie Bombail
Nos deux invités prennent place à la terrasse du restaurant – cave à vin, Chez Gaure. Après les présentations d’usage, nous entrons rapidement dans le vif du sujet. En l’occurrence, les fonctionnaires. Le ministre Emmanuel Macron, qui multiplie les sorties polémiques, a frappé encore une fois en s’en prenant au statut de la fonction publique, « plus adapté au monde tel qu’il va » selon lui. Une bourde vite rattrapée par François Hollande, mais le mal est fait. Et depuis le débat est relancé dans le monde politique… Véronique Vinet se lance en premier sur le sujet : « Il ne faut pas céder à la tentation de taper sur les fonctionnaires, c’est à la fois populiste et démago. » Cette militante EELV (secrétaire régionale du Parti), considère que ce statut « est partie intégrante du contrat social ». Sur ce point, Pierre Perez marque son désaccord : « Je suis contre le fait que l’on flagelle les fonctionnaires, mais il n’y a aucune raison qu’il y ait des emplois à deux vitesses, nous sommes tous dans le même bateau », estime-t-il, « il faut regarder pour chaque grand corps d’Etat, qui remplit ses fonctions et qui ne les remplit pas ». Il fait également remarquer que « les bases de calcul pour les retraites ne sont pas les mêmes, ce n’est pas normal ! » Pour lui, il ne faut pas forcément « rabaisser le statut des fonctionnaires, mais plutôt rééquilibrer les choses entre le public et le privé ». Sur le volet plus politicien de la polémique, Véronique Vinet n’arrive pas à croire « à la sortie intempestive et spontanée, c’est un habitué de ce genre de petite phrase, on l’a vu avec les 35h, les illettrés… Il lance un pavé dans la marre et trois ou quatre personnes feignent de le recadrer ».
« Il n’y a aucune raison qu’il y ait des emplois à deux vitesses, nous sommes tous dans le même bateau »
Pierre Perez poursuit en ce sens : « La façon de gouverner aujourd’hui n’est pas de réfléchir avant d’élaborer une loi, mais de faire un effet d’annonce sur un sujet pour voir comment la population réagit… Personnellement, j’attends d’un gouvernement qu’il soit visionnaire. » L’écologiste soulève le problème du temps en politique : « Depuis le quinquennat, les politiques gouvernent 3 ans maximum, on ne fait plus de perspectives. On est entré dans l’ère du zapping politique, qui est devenu un zapping permanent. »
Il ne reste plus grand-chose des rougets aux petites carottes et autres légumes dans nos assiettes, lorsque nous entamons le deuxième sujet à l’ordre du jour : les manifestations contre le RSI (Régime social des indépendants) qui ont eu lieu lundi 21 septembre suite à l’appel de l’association ‘‘Sauvons nos entreprises’’. Le RSI est né de la fusion des trois caisses de protection sociale des chefs d’entreprise : l’assurance vieillesse des artisans, la caisse nationale d’assurance maladie des professions indépendantes et l’organisation autonome nationale de l’industrie et du commerce.« Le RSI a été créé en 2006 et ça fait 9 ans que ça ne marche pas bien, il y a des retards, des erreurs… l’efficacité n’est pas au rendez-vous », tranche Pierre Perez. Pour lui, le problème vient « des élus locaux qui ne font pas remonter les retours du terrain, notamment parce qu’ils se font endormir par les directions. » Pour sa part, Véronique Vinet se dit « catastrophée par les histoires qu’on entend sur le RSI, pour ceux qui ont un petit chiffre d’affaires, ça ne leur rapporte quasiment rien ! On ne parle jamais des artisans et des commerçants, c’est un secteur d’activité sacrifié ».
La question de la capitalisation individuelle, via des caisses privées se pose dans le débat. « A l’époque, les artisans économisaient pour leur retraite, mais aujourd’hui les retraités n’ont plus les mêmes besoins, ils ne se contentent pas de jouer à la pétanque sur la place du village, ils voyagent », remarque Pierre Perez, qui n’est pas favorable la retraite privée : « Nous avons la chance d’habiter dans le pays qui a créé le mutualisme, ça fait partie de nos symboles, c’est un choix de société ». En revanche, il n’est pas contre un mélange des deux systèmes (capitalisation et mutualisation) « tant qu’il reste un socle commun ». Véronique Vinet acquiesce : « Je suis pour le collectif, je ne pense pas que ce soit une bonne chose que chacun fasse sa petite retraite dans son coin ». Revoir le système, ce serait « s’inspirer du régime général », selon Pierre Perez. « Le politique a aussi un rôle à jouer pour sauver l’emploi notamment en préservant le commerce de proximité », ajoute la secrétaire régionale d’EELV. L’occasion de faire référence au grand projet de centre commercial Val Tolosa à Plaisance du Touch… Mais ce n’est pas au programme de ce débat.
« L’esprit Canal n’existe plus, Le Grand Journal est devenu le pendant de l’émission de Michel Drucker. »
Nous passons plutôt à notre dernier sujet : la stratégie de l’homme d’affaire Vincent Bolloré à la tête de Canal +. Après la mise au placard des Guignols qui sont désormais cryptés et à 20h50, un avertissement à l’équipe du Petit Journal, mais aussi à celle de Touche pas à mon poste, un Grand journal totalement revu, Vincent Bolloré écarte des programmes tous ceux qui osent le critiquer… Il appelle cela ‘‘mettre de l’ordre’’ dans le groupe de la chaîne cryptée (qui détient aussi D8, D17 et I-Télé), mais est-ce que ce ne serait pas tout simplement la fin de ‘‘l’esprit Canal’’ ? « C’est la prise du pouvoir de quelqu’un qui n’est pas du sérail. Dans le cas contraire, il aurait eu un esprit plus large », avance Pierre Perez, « c’est aussi la preuve d’un nombrilisme extraordinaire, alors que la satire a toujours existé en France, c’est dommage », poursuit-il. Pour Véronique Vinet, « l’esprit Canal, c’était les Nuls ! Les Guignols sont un symbole, même si à force ce programme fatigue car il force trop le trait et qu’il dure depuis 20 ans. » Ce qui est condamnable pour elle, « c’est la méthode, Bolloré s’en prend aux Guignols car ils maltraitent ses copains… La collusion entre les médias et le pouvoir pose problème ». « Pour lui, c’est un placement financier et un outil de communication », résume Pierre Perez. Véronique Vinet est sans appel : « L’esprit Canal n’existe plus, Le Grand Journal est devenu le pendant de l’émission de Michel Drucker. » « Il nous manque un Gainsbourg ou un Bedos », estime Pierre Perez. La conversation prend fin sur cette note de nostalgie, mais nos invités repartent tout de même avec le sourire !
Mini-bios
Véronique Vinet
Secrétaire régionale Europe Ecologie-Les Verts, elle a rejoint le mouvement en 2010, lors des dernières élections régionales. Fière de ne pas être une apparatchik, elle n’a jamais été élue et tient à garder les pieds dans la réalité, en s’investissant notamment dans le milieu associatif. Elle travaille désormais dans ce dernier après avoir évolué pendant 30 ans dans un grand groupe en tant que cadre commercial.
Pierre Pérez
Chef d’entreprise dans le secteur de l’automobile, Pierre Pérez a eu plusieurs vies : il a été président de la Chambre de Métiers et de l’Artisanat de la Haute-Garonne pendant 11 ans, président du CESER Midi-Pyrénées, puis conseiller au Conseil économique et social national. Désormais, il seconde ses trois filles qui ont repris ses sociétés et s’adonne à la sculpture sur bronze.
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