Avec son erreur commise en direct sur le renouvellement du CDD, Myriam El Khomri, ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, relance un débat vieux comme le monde. Les ministres et représentants du gouvernement seraient-ils plus aptes à gérer la France s’ils étaient experts de leur domaine d’attribution politique ?
Propos recueillis par Myriam Balavoine
Joël Echevarria, Président du think-tank La Compagnie Riquet
« L’actualité récente nous amène à nous poser la légitime question du niveau d’expertise technique attendu de la part des ministres. Les gouvernements français sont plutôt composés de politiciens aguerris, même si parfois on a pu y trouver des « experts-citoyens » censés apporter pragmatisme et professionnalisme. Des expériences pas toujours couronnées de succès. En cause, l’injonction contradictoire qui s’impose au ministre : il doit à la fois gérer des effectifs et des budgets très importants, ce qui exigerait des compétences techniques et une parfaite maîtrise du domaine, mais aussi fixer un cap et être efficace dans le travail gouvernemental et parlementaire, ce qui renvoie davantage à des compétences purement politiques.
Faut-il un médecin à la Santé ou un général à la Défense ? Le ministre doit-il être à l’image de ceux qu’il administre, ou bien de ceux pour qui il administre ? Attend-on du ministre qu’il comprenne les besoins et contraintes de la société ou bien ceux de ses agents publics ? Le risque d’avoir un ministre-expert (et donc plus lié aux parties prenantes qu’au microcosme politique) est qu’il ait du mal à faire bouger les lignes, en interne par consanguinité et en externe par manque de poids politique. De son côté, le politicien de métier peut être tenté de privilégier les enjeux de court-terme, plus faciles à valoriser dans sa logique de carrière politique.
Deux pistes pour sortir de cette impasse : revoir le statut de l’élu pour favoriser les passerelles vers le secteur privé et régénérer ainsi la classe politique ; imposer un contrat de gouvernement sur la législature, sans remaniement, sauf marginal et technique. Ces deux réformes combinées permettraient de disposer de compétences plus diversifiées… et de plus de temps pour les consolider et les mettre en œuvre.
Sachant bien sûr qu’expertise ne rime pas forcément avec compétence… »
Hervé BOCO, Vice-président UDI 31, Délégué au projet UDI 31 et Délégué départemental du Nouveau Centre 31
« L’incapacité de la ministre du Travail Myriam El Khomri à répondre sur le renouvellement des CDD l’a totalement dévitalisée ! Pourtant, le fondateur de la cinquième République, nourri des auteurs classiques et formé par un siècle tragique, savait qu’un ministre n’a pas à se soumettre aux questions comminatoires d’un journaliste sur ses compétences. Témoin ce dialogue en 1961 entre de Gaulle et un député qui allait entrer au gouvernement et battre le record de longévité ministériel depuis Colbert :
« – Monsieur Robert Boulin, que connaissez-vous au problème des rapatriés ?
– Absolument rien, mon Général !
– Acceptez-vous de vous en occupez ?
– Oui.
– Je vous remercie. Monsieur le secrétaire d’Etat, vous avez une belle tâche. »
En effet, un vrai homme politique porte en lui un idéal d’organisation sociale. Il ne poursuit pas une carrière qui appelle des compétences mais il se bat pour faire triompher des idées. Ce combat exige des sacrifices personnels, le courage d’affronter les résistances de l’administration et le scepticisme des « sachant ». On se souvient du mépris qu’affichaient les universitaires devant les connaissances économiques frustres de Lech Walesa. Mais combien d’entre eux auraient eu le cran de faire face aux chars de l’Armée rouge ?
Si, en apparence, l’ignorance de la ministre a choqué ce n’est pas en raison de l’échec des gouvernants à résoudre le chômage. C’est qu’en effet, la politique est devenue un gagne-pain pour des petits professionnels de la chose. Ceux-là se griment en pâles gestionnaires pour suppléer aux idéaux qu’ils dédaignent. Leur révérence obligée devant les experts est ce que le philosophe Alain appelait la démission du politique. Pour paraphraser Clémenceau, je dirais que la politique est une chose trop sérieuse pour être laissée aux hommes politiques qu’on a ! »
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