Règne. Président du Conseil général depuis 26 ans, Pierre Izard ne se représentera pas aux prochaines départementales. Son départ signe la fin d’une ère en Haute-Garonne. Souvent critiqué pour son « autoritarisme », son bilan est mitigé entre les considérations sur son action et celles sur sa personnalité.
Il souhaite partir « par la grande porte ». Après 30 ans passés à la tête du Département, Pierre Izard préfère tirer sa révérence, dans un contexte national et local peu favorable… Mis en porte-à-faux par son propre parti avec la réforme territoriale, ce « départementaliste » convaincu aurait, en outre, été mis en danger sur son propre canton (qui a fusionné avec deux cantons de droite). Il vit donc ses derniers mois, boulevard de la Marquette. « Celui qui a su transcender le Parti socialiste », comme le qualifient certains de ses collaborateurs, avait été élu avec 65% des voix au premier tour lors des dernières élections. À gauche comme à droite, les commentaires ont fusé, entre hommages à sa politique et remarques amères sur sa « gestion despotique et clientéliste » (dixit l’écologiste Xavier Bigot). Que retenir de l’ère Pierre Izard ?
« Homme de dossier », « fidèle à lui-même », « ardent défenseur du département » sont les termes qui reviennent régulièrement lorsqu’on pose la question aux élus du Conseil général, majorité et opposition confondues. « Fauve politique aux valeurs socialistes profondes qui a toujours eu la vista », pour Georges Méric, conseiller général, président de la 6e commission. Pour juger son action, il faut d’abord comprendre le fonctionnement du département, à savoir « que 80 à 90% des délibérations sont votées à l’unanimité car elles relèvent des compétences obligatoires de la collectivité », explique Patrick Jimena, seul conseiller général EELV (qui ne siège pas dans la majorité). « Les dossiers plus compliqués sont généralement ceux où les financements sont croisés, mais cela n’empêche pas d’investir dans des projets communs comme la réalisation de la rocade Arc-en-ciel ou l’usine II d’Airbus », précise Georges Méric. Ainsi, par certaines décisions, Pierre Izard a su dépasser le cadre de ces compétences, notamment sur la politique sociale. « La gratuité des transports scolaires sur tout le territoire est un point fondamental, tout comme les aides financières aux familles les plus en difficulté pour payer la cantine à leurs enfants », cite, en exemple, l’élu écologiste. « Cela n’existe pas dans les autres départements, il s’agit d’engagements forts », renchérit Sandrine Floureusses, conseillère générale et vice-présidente de la Commission permanente, rappelant que « les dépenses sociales constituent la majorité des dépenses du Département ». En matière d’éducation, et plus particulièrement de construction, entretien et équipement des collèges (compétences exclusives du Conseil général), la Haute-Garonne s’est illustrée puisque 25 établissements ont été créés sous les 26 ans de présidence de Pierre Izard. Pour Georges Méric, « il a toujours aidé tous les territoires, de Toulouse au fin fond du St-Gaudinois ! » Sur sa commune de Nailloux, le Conseil général a mis en place la ligne de bus « Hop ! 3 », reliant la commune au métro Paul Sabatier, le péage sur l’autoroute y menant, ce qui a permis de désenclaver la région et d’implanter le « village des marques ». La voirie a effectivement été un sujet déterminant « car le Conseil général a été un régulateur entre les territoires en privilégiant les subventions aux communes qui avaient peu de moyens », poursuit Patrick Jimena.
Une politique clientéliste ?
Si Pierre Izard a largement contribué au développement du territoire en termes de services et d’équipements, il n’en est pas moins taxé de « clientélisme » par certains. « Il y a eu pléthores d’équipements publics financés par le Conseil général qui n’étaient pas forcément légitimes », regrette Patrick Jimena. Jean-Marc Dumoulin, élu depuis 20 ans à l’assemblée départementale et maire de Villemur-sur-Tarn (divers droite), abonde en ce sens : « Pierre Izard a été un homme fort du PS, qui a réussi à vassaliser un certain nombre d’élus, obligés d’aller dans son sens, et il s’est servi de cet outil (le Conseil général, ndlr) pour consolider la position de son parti en Haute-Garonne ». Des déclarations qui sous-entendent que Pierre Izard aurait « distribué » les subventions aux maires socialistes, pour conforter leur position envers leurs électeurs. Conséquence, « il a mené une stratégie d’éparpillement des investissements pour faire plaisir aux gens, au détriment des équipements structurants dont le département aurait besoin, comme l’autoroute Toulouse-Castres ou encore le grand contournement de Toulouse », poursuit le maire de Villemur. Pourtant, dans la majorité, les élus affirment que la politique territoriale du Département a toujours été équilibrée, « Pierre Izard désirait que chaque citoyen, où qu’il réside, ait le même accès au service public », explique Sandrine Floureusses. Pour étayer ses propos, elle cite la construction de collèges dans des zones peu denses en population, comme le Fousseret : « l’implantation d’établissements scolaires a permis de lutter contre la désertification rurale. En parallèle, nous avons établi un dispositif économique dans lequel nous traitons 460 dossiers par an, pour l’aide à la reprise et création d’entreprises ». Ainsi, le Conseil général a permis de fixer l’activité dans des zones rurales. Autre exemple, Eurocentre : « Il y a 20 ans, Castelnau d’Estretefonds était le bout du monde, mais avec ce projet qui a créé 3290 emplois, le pari est réussi. » Et pour mettre un terme aux allusions des sceptiques, elle rappelle que Toulouse a aussi bénéficié des aides du Conseil général : « Il fut une période où les collèges toulousains se vidaient au profit des établissements de l’agglomération. Nous avons aussitôt rééquilibré les choses en travaillant sur la carte scolaire, en collaboration avec le Rectorat. »
Une gouvernance despotique ?
« Il dispose d’une maîtrise totale de tous les dossiers, ce qui prouve qu’il s’investit dans tous les projets personnellement, mais cela s’avère parfois difficile pour nous, élus de nous frayer un chemin, de faire entendre nos idées », explique Sandrine Floureusses en précisant qu’un système qui peut paraître autocratique est en réalité une grosse machine, difficile à manœuvrer et équilibrer. Tout doit donc passer par Pierre Izard ! Des manières de fonctionner dirigistes que regrettent certaines voix errantes dans les couloirs du “CG”. Mais aux dires mêmes des élus socialistes, « nous avons manqué de solidarité entre nous. Chacun défend ses propres dossiers et nous avons des difficultés à créer un collectif pour être force de propositions. » Autrement dit, personne n’ose se positionner face à Pierre Izard qui ne trouve donc aucune contradiction au sein de son appareil. Pour preuve, en 2011, il était seul candidat à sa succession, personne n’ayant osé l’affronter. Certains s’y sont pourtant frottés comme Georges Méric : « Je me suis heurté à lui quant à sa méthode de gouvernance», explique-t-il, mais pour lui, c’est justement ce qui est à l’origine du respect qui existe entre les deux hommes. « Ses qualités sont tellement indéfectibles qu’elles en deviennent des faiblesses », poursuit-il. Patrick Jimena, forte tête du Conseil général, témoigne de « la très très forte personnalité du président du département, ses coups de colère sont légion, je lui ai d’ailleurs déjà demandé en pleine séance publique d’être plus respectueux envers les élus, quelle que soit leur étiquette ». Il n’hésite pas à parler du « système Izard » basé sur « le schéma de la domination et de la soumission ». Un « système » qui lui a permis de construire une institution toute puissante, dont le budget est supérieur à celui du Conseil régional… Mais à trop vouloir forger l’influence du “CG”, Pierre Izard l’a totalement personnifié… Le genre de personnage difficile à remplacer.
BONUS WEB
Stéphane Baumont, notre politologue, revient sur 26 ans de présidence de Pierre Izard
« Pierre Izard est le président de Conseil général de Haute-Garonne qui sera resté le plus longtemps en place et fait partie de ces médecins qui se sont investis en politique et qui montrent que la République cantonale a souvent été celle des notables. On a dit de la décentralisation qu’elle était « le sacre des notables » ; Pierre Izard est « LE » notable, au-delà de l’étiquette politique ! Un président de Conseil général tel qu’Izard est une telle personnalisation du pouvoir départemental qu’il n’est pas un exemple idéal de parlementarisme local. La décentralisation a créé des ministères départementaux, il a été le ministre de la Haute-Garonne pendant 26 ans. Il a démontré qu’un Conseil général n’existait que s’il était personnalisé, en personnifiant le Département et ce, quel que soit le maire de Toulouse ou le président du Conseil régional. Il a personnalisé son pouvoir, tant même qu’on a pu le traiter d’autoritariste exerçant absolument toutes les compétences.
Quant à l’homme politique, il a toujours su gérer ses rapports avec le Parti socialiste, de telle manière qu’il n’y ait pas de guerre interne au parti qui lui porte préjudice dans l’exercice de ses fonctions. Il n’a pas eu de carrière dans le parti mais s’est arrangé pour que ce dernier ne soit pas un obstacle à la pérennité de son mandat. Il a été un des piliers du socialisme départemental sans passer par le PS. Personne ne peut l’accuser de « déviationisme » !
C’est une grande page de l’histoire du département qui se tourne avec son départ. Sa décision va peut-être influencer Martin Malvy… Leur âge n’est pas, au fond, un problème, ce qui le devient c’est la durée de l’exercice du pouvoir par un même homme. Cela empêche la classe politique locale de se renouveler. Et quand on parle de cumul des mandats comme le PS le fait, il faudrait également penser au cumul des mandats dans le temps ! Il n’est pas sain pour une démocratie locale d’avoir le même élu pendant un quart de siècle. »
Par Coralie Bombail et Séverine Sarrat
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