[DOSSIER] Les clubs de lecture pour aborder la lecture de manière ludique
Qui a dit que la lecture était une activité solitaire ? Avec les clubs de lecture, qui connaissent un regain d’intérêt, c’est aussi une pratique de groupe. Proposée par la médiathèque de Toulouse, l’enquête littéraire permet notamment de dénouer collectivement le fil d’une intrigue policière, sous l’animation d’un libraire passionné. Le JT a assisté à une séance en plein air.
Une dizaine de chaises, un tableau Veleda, des crayons et une pile de bouquins. Et c’est parti ! Nous sommes en Écosse, dans un train, en plein hiver glacial. Un passager nerveux regarde sa montre et, soudain, le wagon s’arrête. Un homme sort chercher du secours. Le voilà mort, la tête dans la neige. Qui l’a tué et pourquoi ?
Il a beau faire 35 degrés à l’ombre à la Prairie des filtres en ce dimanche estival, cette ‘’enquête littéraire’’ a de quoi glacer le sang de la dizaine de participants. Pourtant, tout le monde est là par plaisir. Le principe ? « Les gens lisent tous la même nouvelle policière et s‘arrêtent au même point, juste avant la solution », explique Renaud Layet, de la librairie Série B, animateur de l’atelier. Charge à chacun d’élaborer le plus fin des scénarios, de retrouver les indices, d’éviter les fausses pistes et de démasquer l’assassin. Car il y en a bien un… ou plusieurs !
Autour de la table, une dizaine de curieux, dont des habitués. La plupart sont des femmes, participantes régulières, inscrites également au club de lecture de la médiathèque de Toulouse. « Cela fait plusieurs fois que je rate l’enquête, faute de place disponible. Cette fois, c’est la bonne ! , s’enthousiasme Natacha, qui travaille dans le tourisme. À ses côtés, Corinne, salariée administrative, est une grande amatrice du concept : « La dernière fois, j’ai eu un peu de mal avec l’écriture, c’était un polar japonais. » De tels ateliers existent depuis maintenant deux ans, quatre à cinq fois par an, avec une jauge de douze personnes maximum pour permettre à chacun de participer. «Nous essayons de thématiser, de varier les sujets et de proposer des lectures peu connues », précise Renaud Layet.
« Les polars sont très rassurants. Rien n’est là au hasard, tout a une place »
Très vite, on se prend au jeu. Où et quand le meurtre est-il censé avoir eu lieu ? Qui a un alibi à ce moment-là ? Qui sont les suspects ? Chacun s’imagine dans la peau d’un détective et partage ce qu’il a compris du texte. Même Joey et Philippe, jeunes lecteurs très occasionnels, trouvent « le concept sympa ». Ils sont venus en groupe avec Julie et Camille qui, elle, fait partie du club de lecture.
Les minutes s’écoulent, et bientôt le décor, les cris d’enfants et la sono d’animation de Toulouse Plages disparaissent. Tout le monde prend place dans ce compartiment du train écossais et se demande ce qui s’est passé. « Ah, mais c’est ça en fait ! » s’exclame soudain Caroline, qui croit avoir trouvé la clé.
Pour cette médecin du CHU, cette après-midi, premier jour de tranquillité sans ses enfants, est l’occasion « de lire, de réfléchir et en même temps de s’amuser ». Chacun à son idée du ou des coupables, notée sur un post-it. « Les auteurs de polars aiment beaucoup jouer avec les attentes du lecteur, les amener sur de fausses pistes, attirer leur attention sur un personnage finalement pas si essentiel », souligne Renaud Layet. Ce jour-là, devant la nouvelle proposée aux participants, ‘’Une étude en blanc’’ de Nicholas Blake, extraite du recueil ‘’Petits romans noirs irlandais’’, impossible en l’occurrence de ne pas voir quelques clins d’œil au classique ‘’Crime de l’Orient Express’’ d’Agatha Christie et à son détective fétiche Hercule Poirot. « Parfois, on ne lit même pas le livre pour l’intrigue policière mais pour le personnage, que l’on suit d’épisode en épisode », soutient Corinne. Comme si Netflix n’avait rien inventé.
« Une autre manière d’aborder la lecture, plus sociale et ludique »
Enfin, c’est la révélation. Et, surprise, c’est Julie, lectrice peu régulière, qui l’emporte : « Je n’aurais jamais pensé réussir ! » La voilà lauréate d’un des romans sélectionnés par la librairie Série B, avec une couverture personnalisée en prime. L’atelier se termine, certains s’attardent à discuter à l’ombre. On s’interroge : n’est-ce pas étrange de vouloir s’évader dans des lieux clos et des univers sombres ? « Les polars sont très rassurants. Rien n’est là au hasard, tout a une place, soit pour nous perdre, soit pour servir l’intrigue », analyse Renaud Layet. Et comme dans de nombreux contes, à la fin, les méchants sont confondus et arrêtés. Prochain rendez-vous dans deux ou trois mois, à la médiathèque José-Cabanis, que dirige Charlotte Hénard : «Nous ne touchons pas forcément des personnes éloignées de la lecture, mais nous tentons plutôt d’inculquer une autre manière d’aborder la lecture, plus sociale et ludique, qui revient avec les réseaux sociaux. » Un retour paradoxal du passé, pas si lointain, de ces lectures communes dans les villages, où seuls certains savaient déchiffrer les mots, quand désormais tout le monde peut être convié autour du plaisir de la lecture.
Grégoire Souchay
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