Entrelacs. Les soupçons de favoritisme quant aux sociétés de la famille Arif font couler beaucoup d’encre dans la presse locale comme nationale. Si l’enquête a été relancée par la toute récente démission du gouvernement de Kader Arif, aujourd’hui elle progresse et l’onde de choc grossit à vue d’œil.
Par Aurélie Renne et Séverine Sarrat
En septembre dernier, comme l’indiquait notre premier article sur le sujet (n°605 du 18/09/2014), le parquet de Toulouse a ouvert une enquête préliminaire sur des marchés publics attribués par la Région Midi-Pyrénées aux entreprises AWF Music et AWF dont les actionnaires n’étaient autre qu’Aissa Arif (le frère de Kader Arif) pour la première, et ses neveux (Nassim et Idriss) pour la seconde. Si pour l’instant aucune preuve d’une quelconque malversation n’est apportée, beaucoup de questions se posent , notamment dans les couloirs du Conseil Régional. Les langues se délient, les témoignages affluent, de tous bords, et le hasard de certaines circonstances perturbe.
Début 2014, le dernier appel d’offres régional remporté par AWF, éveille les soupçons de quelques membres de la commission (CAO) : « Le rapport concernant l’entreprise AWF – présentée comme la seule concurrente – faisait état d’une note de 98/100, autrement dit une candidature excellente », avance notre source interne au Conseil régional. « De telles notes sont rares », explique un collaborateur du conseil régional, de là à considérer que la note « est trop haute pour être honnête », il n’y a qu’un pas que l’opposition régionale n’hésite pas à franchir.
En parallèle, une perquisition a lieu dans les locaux du ministère de la Défense, mettant à jour une facture de plus de 50 000 euros pour une prestation de media training par la société All Access (détenu par Nassim et Idriss Arif) au profit de Kader Arif, mais, contrairement aux appels d’offres classiques, l’entreprise ne figure pas dans l’annuaire des prestataires du ministère. Nous avons retrouvé l’intermittent, employé alors par All Access, qui a coaché Kader Arif : « c’est moi qui ai été envoyé par le gérant de All Access pour signer le contrat. Rétrospectivement, j’avoue que c’était bizarre », confie-t-il. Il est vrai que parapher au nom de Jérôme Legras (gérant d’All Access et AWF) aurait permis de relier les deux sociétés entre elles. C’est d’ailleurs un constat que fait un ancien salarié de AWF music, en connaissance de cause : « On savait qu’on était mouillés par ce travail « en famille » tout le monde était très prudent déontologiquement, comment ont-ils fini par se faire piéger ? » Ce technicien réalisateur natif de Castres, connaissait la famille Arif avant de se faire embaucher pour de nombreuses missions entre 2009 et 2011. Il explique d’ailleurs avoir aidé la structure à hauteur de 5 000 euros lors d’un « coup dur ». Certains s’interrogent, comment la société qui avait remporté un dernier appel d’offre de 2,8 millions d’euros début 2014 peut-elle être placée en liquidation judiciaire le 19 mai 2014 ? Surtout que la famille Arif a créé deux nouvelles sociétés (AWF et All access) en 2013. « C’était manifestement stratégique », indique cet ancien salarié.
« Il y a clairement eu favoritisme à la mairie de Blagnac »
Et les concours de circonstances ne cessent de s’enchaîner à la Région, soulevant toujours plus d’interrogations. Comme nous l’avions indiqué dans notre enquête précédente Ali Arif intègre le service communication du Conseil régional en 2006. Un ancien prestataire qui gérait les « grandes messes » de la région accuse Ali Arif d’avoir fait le ménage au profit des entreprises de la famille Arif : « J’ai travaillé pour le Conseil régional de manière régulière jusqu’en 2007 et du jour au lendemain on a fait connaissance avec Ali : il est très colérique. En deux prestations, il nous a mis dehors. » Un témoin au sein de la Région s’exaspère : « Sachant que, concernant les appels d’offres incriminés, le service communication était le donneur d’ordre, comment ne pas faire de relations … Compte tenu du lien entre Ali et Philippe, il est difficile de croire que le frère de Kader Arif n’a pas eu accès aux dossiers en question ! » poursuit-il évoquant Philippe Joachim, ancien directeur de cabinet de Martin Malvy. Car ce dernier est ami de longue date avec la Team Chistole, un groupe de rugbyman nés en 1982, dont fait partie Nassim Arif, la pièce manquante du puzzle et demi de mêlée au Blagnac sporting club rugby (BSCR). Philippe Joachim, contacté il y a plusieurs semaines, affirmait qu’Ali n’avait pas pu intervenir puisqu’il était affecté à la communication institutionnelle et opérationnelle mais pour un des salariés de l’Hôtel de Région, «Nous le voyions régulièrement en compagnie d’un responsable des marchés publics, pour ne pas dire qu’ils sont cul et chemise ! Qu’elle coïncidence ! » Ils quittent le BSCR, il y a quelques mois. Un constat que corrobore un élu à la mairie de Blagnac qui siégeait anciennement à la Région : « il ne s’est jamais caché de ses relations avec la famille Arif, c’est d’ailleurs ce qui lui a valu de devenir co-président au BSCR de 2011 à 2014 : «un cooptage qui devait attirer les sponsors grâce au carnet d’adresse de la nouvelle recrue. » Pourtant cela ne s’arrête pas là : « Philippe Joachim m’avait demandé de placer les entreprises de la famille Arif sur un appel d’offres pour la ville de Blagnac. J’ai refusé et ai appris plus tard que Philippe Joachim était venu accompagné de Nassim Arif pour rencontrer Bernard Keller. L’influence de Philippe Joachim est claire et en tout cas pour Blagnac on peut tout à fait parler de favoritisme puisque AWF a remporté l’appel d’offres en question ». Plus encore il décrit l’homme comme très séducteur, expliquant qu’il « avait toute l’oreille de Martin Malvy : à mon avis il y a eu une double action Philippe Joachim/Kader Arif sur le président de Région».
Quoiqu’il en soit, certains veulent voir dans la disgrâce de l’ancien directeur de cabinet, les conséquences qui commençaient à sortir. En effet, début juillet 2014, Philippe Joachim, directeur de cabinet de Martin Malvy, quitte subitement son poste pour la direction de la communication, sans plus d’explication aux élus… ou plutôt si : « La première version était qu’il anticipait le départ en retraite de M. Malvy en étoffant son CV par une expérience dans la communication », précise notre source au Conseil régional, « mais alors, la communication dépendait du cabinet, il n’avait donc pas besoin d’en bouger ». A ce moment-même le service communication de la Région est détaché du cabinet pour intégrer la Direction générale des services. « De plus, cette mutation n’est rien d’autre qu’une rétrogradation, comment l’aurait-il ainsi choisi ?» s’interroge-t-il. Puis, monte la seconde version dans les couloirs du boulevard Maréchal Juin, « Philippe Joachim aurait renoncé à son poste car il souhaitait se présenter à des élections, mais les dirigeants locaux du PRG, parti dont il est proche, ne semblent pas au courant », constate notre source. Pour d’autres il « voulait se recaser ». Un changement qui s’opère en plein été et génère depuis nombre d’interrogations. Affaire à suivre.
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