Dans l’équation soulevée par la pandémie de Covid-19 entre risques sanitaire et économique, un autre facteur est bien souvent oublié, la santé mentale. De la simple baisse de moral à la dépression en passant par divers troubles anxieux, les impacts psychologiques des mesures de confinement peuvent pourtant avoir de lourdes conséquences.
Le temps qui s’arrête, brusquement, obligeant chacun à bouleverser ses habitudes, tandis que, dehors, le danger rôde. Quelle que soit la manière dont il est vécu, le confinement est une expérience individuelle et collective hors norme. Qui ne va pas sans laisser de traces sur la santé mentale. Selon les chiffres de Santé Publique France, publiés au début du mois de novembre, 21% de Français se déclaraient atteints de troubles dépressifs, contre environ 10% en temps normal. Lors de la première semaine de confinement, en mars dernier, ce même taux était brutalement monté à 19% avant de retrouver progressivement son niveau habituel en septembre. Quant aux troubles anxieux et aux troubles du sommeil, après avoir également connu une augmentation soudaine, ils se sont, eux, maintenus jusqu’à aujourd’hui à un niveau bien plus élevé qu’à l’accoutumée.
C’est ce qu’a notamment pu constater la philosophe et psychanalyste Hélène L’Heuillet. « Beaucoup de mes patients ont par exemple été surpris par l’apparition de cauchemars. D’ailleurs, la fréquentation des sites d’explications de rêves a explosé depuis l’arrivée de la pandémie, ce n’est pas anecdotique », illustre-t-elle. De nombreux experts de la santé mentale ont documenté l’apparition d’autres pathologies comme l’hypocondrie ou la compensation psychotique. Des troubles liés autant à l’isolement et à la solitude, qu’à l’inquiétude sur la situation économique ou à l’impression de vulnérabilité face au risque d’infection au coronavirus.
Même si la hiérarchie entre les causes a tout de même évolué entre les deux confinements. « L’habitude rassure. Nous connaissons désormais un peu mieux ce virus et il n’y a plus l’effet de sidération du premier confinement qui avait provoqué des peurs phobiques chez des gens qui n’étaient pas du tout sujets à ce genre de troubles auparavant », observe Hélène L’Heuillet.
La crainte presque irrationnelle du monde extérieur a donc progressivement été chassée par des sources de mal-être plus communes, mais pas moins dévastatrices. Simple baisse de moral, nostalgie, mélancolie, tristesse, voire déprime… « Le repli n’est pas supportable pour l’être humain. Si l’engouement pour les contacts virtuels, comme les apéros à distance, s’est rapidement atténué, c’est que ces distractions censées rompre l’isolement ne faisaient que le souligner davantage. Cela révèle l’importance du corps dans nos interactions sociales », analyse Hélène L’Heuillet.
Parmi les impacts psychologiques du confinement, certains sont aussi directement liées aux conditions pratiques et matérielles de celui-ci. Du burn-out causé par l’accumulation des tâches ménagères, du télétravail et de la présence des enfants, à l’ennui des personnes seules, les conséquences varient selon la composition du foyer, la taille du logement ou encore les ressources financières. L’institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) s’est ainsi intéressé aux inégalités face au risque de détresse psychologique pendant le premier confinement, à travers une enquête baptisée Coclico (https://www.irdes.fr/coclico).
L’enseignement majeur de cette dernière est que le confinement ne fait qu’aggraver des inégalités préexistantes. « Nos résultats montrent que ce sont les personnes présentant des vulnérabilités en dehors même d’un contexte de crise sanitaire qui ont été les plus affectées par la survenue de détresse psychologique. En particulier les personnes ayant peu de liens sociaux, celles confinées dans des logements sur-occupés, celles vivant avec une maladie chronique et bien sûr les femmes », explique Coralie Gandré, l’une des auteurs de l’enquête.
Selon l’enquête Coclico, le fait d’être une femme est en effet l’un des facteurs pour lequel l’association avec la survenue de détresse psychologique est la plus forte. « La première hypothèse pour expliquer cela est que les femmes ont vu une augmentation de leur charge mentale au cours du confinement. La deuxième est qu’elles sont, de manière générale, plus vulnérables en termes d’état de santé mentale, notamment face à des éléments extérieurs anxiogènes », décrypte Coralie Gandré.
Enfin, un sujet plus spécifique à ce deuxième confinement s’ajoute à tous ceux précédemment cités, celui de l’adhésion de la population aux restrictions. « Les choix du gouvernement ne sont pas neutres. Le fait de supprimer tout ce qui relève du festif et du loisir pour ne privilégier que les interactions liées au travail fragilise l’acceptation du confinement et a forcément des répercussions sur le moral », constate Hélène L’Heuillet.
Pour la chercheuse Coralie Gandré, c’est le manque de cohérence, de constance et de clarté du message politique, dès les premières phases de l’épidémie, qui a pu provoquer un sentiment d’incertitude. « C’est compréhensible dans le cas d’un virus sur lequel les connaissances évoluent constamment. Mais selon une étude publiée dans le Lancet en février 2020, consacrée à des contextes épidémiques antérieurs (Ebola, Sras…), un climat d’incertitude joue un rôle important dans le développement de conséquences psychologiques ».
Pour modérer l’impact social d’éventuelles nouvelles mesures de confinement, les auteurs de l’enquête Coclico préconisaient dans leur conclusion « la prise en compte du caractère protecteur du maintien des activités de loisirs habituelles ». Ce qui n’a donc pas été le cas. De quoi craindre des répercussions psychologiques encore plus fortes à l’issue de ce nouveau confinement ? « Le fait que les parcs et jardins restent cette fois ouverts est une évolution positive. Mais effectivement on ne peut pas éliminer l’hypothèse de conséquences plus importantes sur l’état de santé mentale des français, notamment du fait d’une certaine lassitude et, là encore, d’une grande incertitude, liée à l’idée que cette politique pourrait être reconduite », évoque la chercheuse Coralie Gandré.
A long terme, Hélène L’Heuillet craint, elle, une dégradation des interactions sociales. « Mon inquiétude est que nous perdions l’habitude du contact physique, que tout cela nous rende plus méfiants les uns envers les autres. L’absence du corps peut entraîner un phénomène de déréalisation, c’est-à-dire de perte du rapport à la réalité ».
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