Loin du milieu parisien, Spider World Cinema, petite société de production de la banlieue toulousaine, parvient à fabriquer des films depuis près de 10 ans sans subir la terrible pression financière d’ordinaire inhérente à chaque sortie. Une recette artisanale à base de passion et d’audace.
Une jolie villa dans un quartier pavillonnaire paisible. Le décor est digne de célèbres séries américaines. Nous sommes pourtant à Gagnac-sur-Garonne, au Nord de Toulouse. De l’extérieur, seul un paillasson avec la formule « Crime scene. Do not cross » indique la vocation originale du lieu. La demeure accueille en effet les locaux d’une société de production de cinéma. Plusieurs films ont été imaginés, écrits et montés ici.
Tous, l’œuvre de Thierry Obadia qui a fondé Spider World Cinema avec Laurence Larrousset, juste après la sortie de “Lisa”, son premier long-métrage, en 2010. Fabriqué avec un budget de 13 000 euros et des acteurs non professionnels, le film parvient jusqu’à Cannes, où les associés organisent une projection durant le festival. « La rencontre avec le public était un moment fort, mais personne dans le monde du cinéma ne nous a tendu la main. Nous avons décidé de tout faire nous-mêmes et donc de créer notre propre structure », raconte Thierry Obadia, dans la salle de montage où il reçoit au milieu des ordinateurs et des caméras.
« Avec les comédiens comme avec les partenaires financiers, tout fonctionne à l’humain »
Foncer quoiqu’il arrive, c’est la marque de fabrique du personnage. L’histoire de cet autodidacte avec le Septième art commence par une dizaine de rôles dans des films comme “Ma saison préférée” d’André Téchiné, tourné à Toulouse, ou “Cendrillon” avec l’actrice américaine Drew Barrymore. En parallèle, il ne cesse d’écrire, autant des scenarii que des chansons. Après l’expérience “Lisa”, il réalise deux courts métrages également présentés à Cannes et sort, en 2014, “ADN, l’âme de la terre”, avec un budget d’environ 400 000 euros.
Pour raconter cette histoire d’un jeune garçon doté d’une capacité à guérir les gens et dont l’ADN est convoité par un laboratoire pharmaceutique malintentionné, Thierry Obadia contacte cette fois des acteurs confirmés dont Michel Jonasz, Philippe Nahon, Albert Delpy et Alexia Barlier, sans toutefois passer par leurs agents. « Avec les comédiens comme avec les partenaires financiers, tout fonctionne à l’humain. Ils sont touchés par l’histoire et acceptent de s’embarquer avec nous. Emmener Michel Jonasz pour un tournage en Tunisie avec une quarantaine de techniciens, en plein printemps arabe, c’était une vraie galère, mais une sacrée aventure », sourit le réalisateur.
Assurant également la partie distribution, Spider World Cinema offre à “ADN” une sortie nationale, aussi bien dans les grands complexes que dans les petites salles de proximité. Le film est même sélectionné au Woodstock Film Festival aux États-Unis. Un succès qui vient valider le modèle hors format conçu par les deux compères. « Notre idée était de montrer que l’on pouvait réussir à créer des films sans être à Paris, dans le milieu traditionnel. Nous avançons sans dépendre de qui que ce soit », lance Laurence Larrousset, directrice générale et associée de Spider World Cinema. Dans un système classique de financement justement, le duo estime qu’une production comme “ADN” aurait coûté entre 1 et 2 millions d’euros. « Chez nous, il n’y a pas de fioritures. Sans renier la qualité. Tous nos tournages se font par exemple en décors naturels, il y a tout ce qu’il faut comme paysages dans la région », poursuit-elle.
« Nous avançons sans dépendre de qui que ce soit »
Si la société de Gagnac-sur-Garonne défend un cinéma artisanal, directement du producteur au consommateur, cela ne l’empêche pas de viser haut. Grand fan de Clint Eastwood, Thierry Obadia est en contact avec Tom Stern, le chef opérateur historique de l’acteur américain pour un projet à venir. Avant cela, il y aura un troisième film, tourné en février prochain en Provence, et dont le rôle principal sera tenu par Doudou Ngumbu, le boxeur toulousain. Le réalisateur a d’ailleurs suivi ce dernier lors d’un combat à Philadelphie, pour de premières images. « Les comédiens Ludovic Berthillot, Firmine Richard, Alix Bénézech, la seule Française qui jouait dans “Mission Impossible : Fallout” m’ont aussi donné leur accord. Tout comme Burt Young, l’acteur qui interprète Paulie dans la saga Rocky », annonce fièrement Thierry Obadia.
Avant de retourner aux préparatifs de ce nouveau film, l’hôte tient à faire visiter une pièce spéciale de sa maison. Après être passé devant une reproduction à taille réelle d’Iron Man et un mur de DVD, il ouvre une lourde porte qui dévoile une véritable petite salle de cinéma privée de sept places. Insonorisation, fauteuils vibrants, moquette rouge, mur de son, écran géant… Tout y est. « C’est ici que je convie les gens qui nous suivent et nous aident pour des avant-premières en famille », confie-t-il les yeux brillants. Ceux d’un grand enfant, qui s’est offert, à force de détermination, la liberté de faire les choses comme il l’entend.
Commentaires