Des chercheurs de l’Atelier d’écologie politique de Toulouse dénoncent « l’enfumage » d’Airbus qui a récemment présenté son projet d’avion à hydrogène. Pour eux, ce dernier ne contribuera en rien à une réduction significative des émissions de carbone de l’aviation.
Pour des chercheurs toulousains, l’avion à hydrogène d’Airbus, prévu pour 2035 ne sera pas vraiment vert ©AirbusEn cette période de fortes turbulences, la présentation, il y a quelques jours, de trois prototypes d’avions propulsés à l’hydrogène dans le cadre du plan ZEROe lancé par Airbus a fait office de bouffée d’air frais dans le monde de l’aéronautique. Guillaume Faury, PDG du groupe, promouvait enfin le tant attendu avion vert, enjeu majeur du plan de relance du secteur présenté par le gouvernement en juin dernier. L’avènement de ces avions du futur, qualifiés par le patron d’Airbus de « zéro carbone », aurait lieu en 2035 selon le géant mondial.
Sauf que d’un point de vue scientifique, tout n’est pas si rose, ou si vert. Dans un texte publié sur leur blog, plusieurs membres de l’Atelier d’écologie politique de Toulouse (Atécopol), un collectif de chercheurs, critiquent en effet vivement la communication jugée « aguicheuse » de la part d’Airbus. Et apportent leur contribution au débat. « Il est tout à fait normal que Guillaume Faury ne mette en avant que les côtés positifs de l’avion à hydrogène. Mais dans la présentation qui a été faite, beaucoup d’éléments sont mis sous le tapis. Nous avons voulu replacer ces annonces dans un contexte plus large, en montrant que l’hydrogène ne résout pas tous les problèmes, loin de là », explique Julian Carrey, professeur des universités à l’Institut national des sciences appliquées (Insa) de Toulouse, l’un des auteurs du texte.
Les chercheurs rappellent dans un premier temps, que dans l’état actuel des choses, « la production d’hydrogène se fait principalement par vaporéformage du méthane, une technique très émettrice en CO2 ». « Actuellement, l’hydrogène mondial provient à 90 % d’énergies fossiles. Nous n’inventons rien, la littérature scientifique est très fournie sur le sujet. En revanche, nous avons réalisé des calculs que personne n’avait fait pour pouvoir faire de véritables comparaisons », appuie Julian Carrey. Les membres de l’Atécopol mettent par exemple en relation les émissions générées par la production mondiale d’hydrogène (principalement pour fabriquer des engrais ou le raffinage du pétrole) en 2018 (800 millions de tonnes de CO2) avec celles du transport aérien commercial (918 millions de tonnes la même année). « L’hydrogène produit par vaporéformage étant plus émetteur que le kérosène à énergie égale, l’utiliser aujourd’hui dans des avions conduirait à une augmentation des émissions de carbone », affirment les auteurs du texte.
Conscient de cette situation, le président d’Airbus a clairement mentionné que l’hydrogène utilisé pour faire voler les avions devra être « bas-carbone », c’est à dire produit par une autre technique, l’électrolyse de l’eau. Une méthode qui nécessite une quantité importante d’électricité devant provenir exclusivement, pour être bas-carbone elle aussi, d’énergies renouvelables (photovoltaïque et éolien) ou nucléaires. Et en la matière, les chercheurs sont une nouvelle fois sceptiques : « La propreté des futurs avions à hydrogène dépend uniquement de la capacité et de l’envie de notre société de fournir des millions de litres d’hydrogène « bas-carbone » au secteur aéronautique, et c’est bien là que le bât blesse », écrivent-ils.
Leur raisonnement est le suivant : pour produire l’énergie permettant de fabriquer l’hydrogène équivalente à celle émise pour produire le kérosène utilisé par les avions à destination et en provenance de Toulouse en 2018, cela nécessiterait 190 km² de surface couverte par des éoliennes, soit deux fois la taille de la ville de Toulouse. Ou 37 km² de panneaux photovoltaïques, autrement dit 200 fois la surface de la ferme photovoltaïque de l’Oncopole à Toulouse. Et l’équivalent de la taille cumulée de Blagnac et Colomiers.
L’aéroport de Toulouse-Blagnac n’accueillant presque aucun long-courrier, l’Atécopol a étendu ses calculs à celui de Paris-Charles-de-Gaulle, deuxième hub européen. Il faudrait alors, selon eux, 5000 km² d’éoliennes, 1000 km² de panneaux photovoltaïques ou encore 16 réacteurs nucléaires pour produire l’hydrogène nécessaire. Quelle que soit l’échelle, « il est illusoire de penser que nous disposerons d’une quantité d’hydrogène « vert » pour faire voler autant d’avions qu’aujourd’hui », affirment-ils.
Parmi les autres difficultés liées à l’hydrogène, les chercheurs évoquent également l’immense chantier que représenterait l’adaptation des structures aéroportuaires pour le stockage et l’acheminement de ce nouveau carburant. Ou encore le fait que le plan ZEROe d’Airbus concerne uniquement les vols dans la limite d’un rayon de 3700 km, qui ne représentent que 60% des émissions de CO de l’aviation. Loin d’être suffisant par rapport aux enjeux définis par les accords de Paris ou aux préconisations du GIEC.
« Notre démarche ne consiste pas à faire de l’hydrogène bashing ni à se positionner pour ou contre l’aviation mais à questionner la place de celle-ci dans notre société. S’il s’agit de créer des infrastructures gigantesques de production d’électricité bas-carbone pour permettre aux classes supérieures de partir en week-end en avion, cela ne nous paraît pas très pertinent. Peut-être y aurait-il d’autres usages à décarboner en priorité, comme faire rouler les tracteurs, chauffer les habitats, préparer la nourriture, ou faire circuler des véhicules essentiels », lance Julian Carrey. Ce dernier est catégorique, « d’un point de vue scientifique, il n’existe aucun moyen de réduire suffisamment les émissions tout en gardant un trafic aérien constant ou en croissance ».
Pour l’Atécopol, la priorité aujourd’hui n’est donc pas de « faire miroiter un futur où la technologie aura résolu tous les problèmes, mais bien d’engager des actions immédiates pour réduire de manière significative les émissions ».
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