Fact Checking – Des observateurs indépendants et un journaliste frappés à coups de matraque en marge d’une manifestation de Gilets jaunes… Entre atteinte aux droits pour les uns et application de la loi pour les autres, le JT s’est demandé si la police peut disperser par la force, et sans distinction, toute personne présente sur la voie publique.
Samedi 28 septembre, en marge de l’acte 46 des Gilets jaunes à Toulouse, un groupe composé de cinq membres de l’Observatoire local des pratiques policières (OPP), identifiables à leur chasuble bleu, et d’un journaliste, a été pris à partie par des représentants des forces de l’ordre. Interpellés dans une lettre de l’OPP, les responsables locaux de l’ordre public ont répondu le lendemain. « Les officiers ont procédé à des manœuvres de dispersion conformément aux textes en vigueur. Les sommations ont été effectuées à plusieurs reprises, mais elles ont été ignorées. Il faut savoir que lorsqu’un ordre de dispersion est lancé, il concerne toutes les personnes qui occupent la voie publique, peu importe leur fonction. »
Insultés, menacés, gazés, frappés… et blessé pour l'un d'eux. C'est la troisième fois cette année qu'un observateur de l'Observatoire des Pratiques Policières est blessé ! Observer est un #droit !@FondCopernic @syndicatavocats #LDH @davduf #ViolencesPolicieres pic.twitter.com/7cHrRe2p6J
— LDH Toulouse (@LDHtoulouse) September 28, 2019
Des propos rapportés par nos confrères de “La Dépêche du Midi” et attribués au « commissariat central de Toulouse ». À la lecture de ces lignes, nous nous sommes demandés si la police pouvait effectivement disperser par la force et sans distinction toute personne présente sur la voie publique. Nous avons donc contacté la Direction départementale de la sécurité publique de Haute-Garonne (DDSP31) et la préfecture pour nous renseigner sur les textes en vigueur cités. Sans obtenir de réponse.
Nous nous sommes alors tournés vers un juriste spécialiste de la question, Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes. « C’est la notion de rassemblement illégal et d’attroupement qui légitime l’usage de la force. C’est une infraction pénale, un délit, et la police est donc en droit d’intervenir et de mettre les personnes qui restent sur place en garde à vue. Il faut se référer au code de la sécurité intérieure qui définit l’attroupement et renvoie au code pénal. »
Nous avons donc consulté l’Article L211-1 du code de la sécurité intérieure qui dispose notamment que « sont soumis à l’obligation d’une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique ». Les cortèges des Gilets jaunes n’étant pas déclarés, ils peuvent être, de fait, considérés comme des attroupements tels que sont définis par l’article 431-3 du code pénal : « Tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public. » Selon ce même article, les attroupements peuvent être « dissipés par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet. Il est procédé à ces sommations suivant des modalités propres à informer les personnes participant à l’attroupement de l’obligation de se disperser sans délai », dit également le texte.
Pour Serge Slama, il apparaît donc que « l’ordre de dispersion ne concerne que ”les personnes participants à l’attroupement”, ceux qui violent délibérément la loi. Ce qui n’est pas le cas des tiers comme les Street Médic, les riverains, les commerçants ou les observateurs. Ces derniers, comme les journalistes, doivent même être protégés », estime le spécialiste. Le juriste insiste d’ailleurs sur la distinction entre l’ordre de dispersion et ce qui serait un couvre-feu. « Les citoyens ont le droit de rester dans l’espace public. Sinon, nous ne sommes plus en démocratie », ajoute-t-il.
« Nous ne sommes pas des manifestants, mais des observateurs protégés par l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Nos missions sont systématiquement déclarées au préfet de Haute-Garonne et à la DDSP31. Sur le terrain, nous adoptons une neutralité comportementale permanente qui n’entrave pas l’exercice des forces de l’ordre. Nous sommes clairement identifiables et nous tenons la plupart du temps à l’écart de la manifestation. Le jour en question, il y a bien eu des sommations. [Les observateurs] étaient seuls dans la rue avec le journaliste et ensuite, les forces de l’ordre ont chargé très vite », nous confirme Marie Toustou membre de la Ligue des droits de l’homme qui participe à l’OPP.
En conclusion, si « les manœuvres de dispersion » ont bien été menées après les sommations d’usage et donc « conformément avec les textes en vigueur », affirmer qu’un ordre de dispersion concerne « toutes les personnes qui occupent la voie publique, peu importe leur fonction » ne semble reposer sur aucun texte de loi. Au contraire, les forces de l’ordre se doivent de garantir la sécurité de tous et l’exercice de la liberté d’information. « Le fait d’entraver [la liberté d’expression, du travail, d’association, de réunion ou de manifestation], d’une manière concertée et à l’aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations (…) est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende », prévoit ainsi l’article 431-1 du Code pénal.
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