INEFFICACITÉ. Alors que le CV anonyme avait été mis en place pour lutter contre la discrimination à l’embauche, il semblerait que la méthode n’ait pas porté ses fruits. Jean-Marc Ségui, associé du cabinet Umanove, spécialiste des ressources humaines, explique pourquoi.
Jean-Marc Ségui, depuis 2006 et la loi sur l’égalité des chances, les entreprises de plus de 50 salariés devaient avoir recours au CV anonyme. Dans les faits, était-ce vraiment le cas ?
Non car le décret d’application n’est jamais passé. Les partenaires sociaux ne se sont jamais entendus pour sa mise en application. Personnellement, je pense que la mise en pratique de ce type d’outils n’est pas simple car nous vivons dans un univers où nous sur-communiquons les informations sur internet. Aujourd’hui, 60% des recruteurs passent par les réseaux sociaux. Ainsi, prôner l’anonymat dans une société ouverte en matière d’information n’a pas vraiment de sens. Concrètement donc, aucune obligation pour les entreprises.
Cette loi a-t-elle alors permis un recrutement non discriminatoire ?
La loi oui, car elle a mis en place d’autres actions dans les entreprises qui tendent à les limiter. Elle a permis aux entreprises de développer des accords d’égalité des chances, de diversité, des outils de formation pour les managers et recruteurs, qui s’avèrent plus efficace. Quant au CV anonyme, un des chapitres de cette loi, avait pour objectif de lutter contre les discriminations d’âge, de sexe et principalement raciales. Pour parler sans langue de bois, ce chapitre, lui, n’a jamais été mis en application. Le CV anonyme avait l’inconvénient de passer à côté d’autres discriminations comme les origines scolaires, le niveau de formation, l’ancienneté…
Une évaluation de Pôle emploi montrerait qu’un candidat issu de l’immigration aurait une chance sur vingt-deux d’être retenu avec un CV anonyme contre une sur dix avec un CV nominatif…
Pour que ce soit efficient, il aurait fallu que le CV anonyme soit obligatoire pour tous, et que le CV visuel n’ait plus cours. Si le choix est conservé, le recruteur optera plus facilement pour un candidat pour lequel il aura le plus d’informations, sans arrière pensée. Ainsi, le système est discriminant en lui-même ! Aurait-on été capable de généraliser cette méthode à toutes les entreprises et de l’imposer à tous les candidats, car certains souhaitent justement mettre des informations, pouvant jouer en leur faveur, en avant ?
« Il aurait fallu que le CV anonyme soit obligatoire à tous »
Le ministre du Travail, François Rebsamen, vient d’ailleurs d’annoncer la non-généralisation du CV anonyme…Peut-on alors affirmer qu’il s’agit d’un échec ?
Il réagit à un manque d’efficacité de ce système. Sa posture est adaptée au marché actuel : ne pas le généraliser mais le maintenir. L’erreur aurait été de le supprimer totalement. Le candidat peut ainsi choisir les informations qu’il souhaite communiquer au recruteur. Ainsi, nous pouvons parler de demi-échec car le CV anonyme a quand même permis à certains candidats de passer des entretiens et avoir des opportunités. Pour diminuer la discrimination lors du processus de recrutement, le CV anonyme est-il le meilleur moyen ? A priori, non !
On parle aujourd’hui de class actions (actions collectives) pour pallier à la non-généralisation du CV anonyme. En quoi cela consiste-t-il ?
Il s’agit de l’organisation de « testings », soit à la demande de l’entreprise elle-même, pour évaluer son processus de recrutement, soit à l’initiative d’une association saisie par différents candidats. L’avantage de cette démarche est son apport pédagogique auprès des entreprises qui peuvent se remettre en question. Mais encore une fois, cette méthode est plutôt limitée à la discrimination raciale.
Quels autres outils peuvent alors permettre de limiter ces discriminations ?
Dans la région, des entreprises comme Airbus ou Sanofi mettent en place des partenariats avec des missions locales pour intégrer dans leur recrutement des personnes en reconversion professionnelle, des jeunes en difficulté. Il existe également la possibilité de recourir à des pré-entretiens vidéo où le candidat pourra mettre sa personnalité en avant s’il manque d’expérience, par exemple. Ainsi, de nombreux outils permettent aujourd’hui de postuler en limitant au mieux les discriminations.
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