Jean-Luc Lagleize, corapporteur de la mission d’information sur l’avenir du secteur aéronautique a présenté, le 12 janvier dernier, son rapport devant devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Avion électrique, hydrogène et biocarburants, le député de la Haute-Garonne revient sur les grands enjeux auxquels doit se confronter cette filière.
Le Journal Toulousain. Pourquoi vous être investi dans cette mission d’information sur l’avenir du secteur aéronautique ?
Jean-Luc Lagleize. La genèse de cette mission remonte au premier confinement, au début de la crise Covid-19. Tous les avions étaient cloués au sol et j’étais très inquiet pour l’avenir de cette filière qui emploie beaucoup de gens dans la région. Un peu plus tard, en 2021, le gouvernement a voté le projet de loi Climat-Résilience qui faisait suite à la convention citoyenne. Mais cette loi, issue du travail d’une assemblée avec un parti prix anti-aéronautique, comportait des articles qui sont assassins pour le secteur.
« La crise sanitaire a été un coup très dur pour l’aéronautique »
J’ai donc déposé plusieurs amendements pour faire supprimer ces articles, notamment celui sur l’interdiction des vols intérieurs quand il existe une alternative ferroviaire. En effet, cette mesure part du principe que le train est plus vertueux que l’avion. Ce qui n’est pas évident et reste à prouver, surtout si l’on considère l’impact des gares et de l’ensemble des infrastructures. C’est en constatant que j’étais soutenu et rejoint par des députés de tous les groupes que j’ai demandé le lancement de cette mission dont j’ai été nommé corapporteur avec Sylvia Pinel.
J.T. Comment s’est déroulée cette mission ?
J-L. L. Pendant six mois, nous avons rencontré et interrogé 70 acteurs du secteur aéronautique. Nous avons fait le choix d’embrasser le sujet de manière très large avec des industriels, des start-up, des sous-traitants, des gestionnaires d’aéroports mais aussi des ONG de défense de l’environnement (Greenpeace) et des responsables politique.
« La défiance vis-à-vis de l’avion existe surtout en Europe du Nord et en France »
Enfin, nous avons même fait intervenir des économistes et des sociologues pour déterminer comment pouvaient évoluer nos habitudes et nos usages de l’avion. Nous voulions savoir si, comme disent certaines ONG ou des jeunes filles suédoises à tresses, la honte de prendre l’avion allait nous amener réellement à changer nos pratiques. Ou si, au contraire, c’était un phénomène purement local et temporaire.
J.T. Et quelles sont vos conclusions ?
J-L. L. Les experts nous ont confirmé que le consommateur porte une dualité. Même s’il revendique une fibre écologiste et qu’il dit ne pas vouloir prendre l’avion, il est au rendez-vous et les vols sont pleins à chaque nouvelle ouverture de ligne. En définitive, cette défiance vis-à-vis de l’avion existe surtout en Europe du Nord et en France. Dans le reste du monde, de la Chine au États-Unis en passant par l’Amérique latine ou l’Océanie, l’avion est beaucoup mieux accepté.
« L’usage de l’aviation d’affaire et des jets privés a explosé »
J.T. La crise sanitaire a-t-elle changé quelques chose dans notre rapport à l’avion ?
J-L. L. La crise sanitaire a été un coup très dur pour l’aéronautique. On ne sait d’ailleurs pas si l’on atteindra de nouveau les niveaux d’avant la crise. Néanmoins, nous savons que deux évolutions sont durables : la baisse des déplacements professionnels due à l’essor de la visioconférence et la prise de conscience par les citoyens, comme par l’industrie, de l’urgente nécessite de décarboner l’aviation. Par ailleurs, on peut souligner que l’usage de l’aviation d’affaire (les jets privés) a explosé et que ce sont les vols de tourisme, au sein de l’Europe, qui ont redémarré le plus rapidement.
J.T. L’aéronautique fait donc toujours rêver ?
J-L. L. Oui, l’avion fait toujours rêver. Il n’y a qu’en France où quelques personnes écoutent les sirènes suédoises. Mais l’aéronautique toulousain fait encore rêver le monde entier et nos écoles font toujours le plein d’étudiants de tous les pays. L’aéronautique fera même encore plus rêver quant son industrie sera décarbonée et qu’elle mettra en avant les efforts accomplis pour réduire l’impact écologique de l’avion.
J.T. Quels sont les grands défis que doit relever le secteur aéronautique ?
J-L. L. L’industrie aéronautique doit absolument accélérer son processus de décarbonation. Pour cela, elle doit penser l’avion de demain et peut suivre trois pistes : l’avion électrique, l’avion à hydrogène et le développement des bio-carburants. En raison du poids des batteries, l’avion électrique est une solution viable et intéressante pour les vols intérieurs et courts. L’hydrogène, très efficace mais beaucoup plus encombrant que le kérosène, est une solution pour les moyens courriers. En revanche, pour les longs courriers, il faut se tourner vers les biocarburants, de synthèse ou issus de la bio-masse.
« toute mesure prise à un niveau local produirait une ”fuite de carbone” ainsi qu’une distorsion de la concurrence »
S’il est impératif de foncer sur le développement de l’électrique et de l’hydrogène pour rester dans la course à l’avion de demain, le développement des biocarburants est une urgence pour amorcer la décarbonation de la filière dès aujourd’hui. Les avions récents peuvent déjà embarquer 50 % de ces carburants. Finalement, cette mission m’a permis de retrouver de l’optimise car cette industrie regorge d’idée et montre une incroyable capacité à se réinventer.
J.T. Quelles sont les propositions que vous avez formulé dans votre rapport ?
J-L. L. Suite à six mois de travail, nous avons formulé 46 propositions. Nous avons notamment proposé d’identifier les gisements de biomasse et d’évaluer nos capacités de production de bio-carburant pour pouvoir répondre rapidement aux besoins. Il faut également encourager, par des mesures d’incitation fiscale, les compagnies aériennes à renouveler leurs flottes vieillissantes pour qu’elles s’équipent de modèles d’avions compatibles avec les biocarburants. Enfin, nous recommandons que les mesures contraignantes soient systématiquement prises au niveau international.
En effet, toute mesure prise à un niveau trop local comporte le risque d’être contre-productive et de produire une ”fuite de carbone” ainsi qu’une distorsion de la concurrence. La clientèle étant incitée à prendre des vols plus longs faisant des escales dans des pays moins taxés plutôt que des vols directs, plus vertueux mais plus cher. Les compagnies nationales y perdent et le bilan carbone est augmenté d’autant.
J.T. Que faire si l’on ne parvient pas à convaincre les organisations internationales du bien fondé de ces mesures ?
J-L. L. Nous n’avons pas le droit de ne pas convaincre. Néanmoins, si nous n’y parvenons pas, il faut assumer que cela produit une distorsion de la concurrence. Il faudra alors avoir le courage d’interdire aux compagnies dépendantes de pays moins disant sur le plan environnement d’opérer sur notre territoire.
« L’avion est un facteur de connaissance, de tolérance et de paix »
J.T. Ne vaudrait-il pas mieux réduire notre usage de l’avion ?
J-L. L. Il est certains que nous allons rationaliser nos déplacements professionnels. Mais la réduction des transport n’est pas une aspiration de nos concitoyens qui plébiscitent toujours les vols touristiques. C’est pour cela que nous devons décarboner le tourisme. Et, peut-être, s’interroger sur le bien fondé de déplacements très courts. Il faudra se demander si c’est bien raisonnable d’aller passer un week-end à New-York et revenir. Peut-être qu’il vaut mieux aller y passer une semaine.
J.T. Peut-on se passer des avions ?
J-L. L. Nous avons absolument besoin des avions pour se connecter et rapprocher les peuples. L’avion est un facteur de connaissance, de tolérance et de paix. Comme l’ont prouvé les mesure sanitaires et les confinements, l’homme à besoin de contact avec les autres.
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